Collaborer ou résister ? Artistes, intellectuels et célébrités françaises face à l’Histoire (1939–1945)
- Odile Prigent
- 6 juil.
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La Seconde Guerre mondiale ne fut pas uniquement un un conflit militaire : elle constitua également une épreuve morale pour les sociétés et les individus. Qu’auriez-vous fait, vous, sous l’Occupation ?
Au cours de cette période sombre, artistes, chanteurs, cinéastes, écrivains, ou intellectuels furent amenés à se positionner face au régime de Vichy, aux puissances de l’Axe ou à l’Occupation elle-même.
Certains cédèrent à l’idéologie, au confort ou à l’ambition, en collaborant activement avec l’ennemi. D’autres, au contraire, prirent tous les risques pour résister, souvent dans l’ombre.
Sans porter de jugement, cet article propose un rappel des faits et des engagements de quelques figures marquantes de l’époque.
Les collaborateurs célèbres du monde culturel
Durant l’Occupation, plusieurs artistes, écrivains et figures publiques ont activement soutenu le régime nazi ou le gouvernement de Vichy. Certains par conviction idéologique, d’autres par opportunisme ou simple intérêt personnel.
Parmi eux, nous retiendrons quelques noms emblématiques :
Louis-Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, médecin de formation, est aujourd’hui davantage connu pour ses écrits violemment antisémites. Dès 1937, il publie des pamphlets d’une extrême virulence (Bagatelles pour un massacre, L'École des cadavres, Les Beaux draps), et adresse également des lettres de dénonciation. Il est frappé d’indignité nationale en 1950.
Léonie Bathiat, dite Arletty, actrice célèbre du cinéma français, entretient à partir de 1941 une liaison amoureuse sincère et passionnée avec un officier de la Luftwaffe. Leur correspondance est rendue publique par l’épouse de ce dernier. Cette relation lui vaudra, à la Libération, d’être brièvement emprisonnée pour « trahison » et « collaboration avec l’ennemi ». Elle laissera cette réplique connue : « Mon cœur est français, mais mon cul est international ».

Jean Louis Gabriel Luchaire, journaliste et patron de presse français, occupe dès novembre 1940 une place considérable dans la presse parisienne, notamment avec la création du journal collaborationniste Les Nouveaux Temps. Par son engagement actif en faveur du gouvernement de Vichy, il concentre le contrôle idéologique d’une grande partie de la presse de la zone occupée.
Gabrielle Chanel, dite Coco Chanel, créatrice de mode renommée, incarne l’élégance française à travers l’une des plus célèbres maisons de couture. En 1940, à 57 ans, elle entame une relation passionnée avec le baron Hans Günther von Dincklage, un espion nazi de haut rang. Elle est alors recrutée comme agent du régime nazi sous le nom de code « Westminster ».
Elle tente, sans succès, de récupérer la propriété de ses parfums, cédée avant-guerre à des industriels juifs, en sollicitant l’aide des autorités allemandes. À la Libération, elle est brièvement arrêtée, puis relâchée quelques heures plus tard, à la suite d’une intervention attribuée à Churchill. Elle s’installe alors en Suisse, où elle restera jusqu’à son retour en France en 1953, à l’âge de 70 ans. On gardera d’elle, entre autres, l’image d’une anticommuniste convaincue, antisémite déclarée et homophobe assumée.
Les arrangeants, les opportunistes, les ambigus
À l’instar de nombreux artistes sollicités dans ce Paris, transformé en ville de plaisir par les Allemands, les acteurs de la fin des années 1930, tels que Fernandel, Raimu, Danielle Darrieux, Michel Simon, Louis Jouvet..., aspirent avant tout à poursuivre leur carrière. Une centaine de films seront ainsi tournés grâce à la Continental, société de production et de distribution cinématographique entièrement financée par Berlin. Quelques acteurs, à l’image de Robert Le Vigan, afficheront ouvertement leur sympathie à l’égard du régime nazi.
Figure incontournable de la scène artistique d'avant-guerre, Alexandre, dit « Sacha » Guitry, accepte de revenir à Paris à l'invitation des autorités d’occupation . Il y produit six pièces et réalise cinq films. Arrêté par la Résistance le 23 août 1944, pour intelligence avec l’ennemi, il est incarcéré pendant soixante jours, mais ne sera finalement pas condamné, faute de preuves concluantes. Il sera établi par la suite qu’il a mis sa notoriété au service de plusieurs interventions discrètes, permettant notamment de sauver de la déportation une dizaine de personnes, dont le philosophe Henri Bergson et le dramaturge Tristan Bernard.
Édith Giovanna Gassion, dite Édith Piaf, échappe, quant à elle, aux poursuites, en dépit de plusieurs tours de chants suspects en Allemagne et d’une séance photo prise devant la porte de Brandebourg, à Berlin, en août 1943, aux côtés d’autres artistes français tels que Loulou Gasté, Raymond Souplex, Viviane Romance ou Albert Préjean. Ce voyage, organisé par la Propagandastaffel, est plus tard justifié par une histoire rocambolesque impliquant de faux papiers et la libération de prisonniers, dont aucun témoignage direct n’a confirmé l’authenticité. Cet épisode demeure ainsi sujet à caution pour nombre de ses biographes.
Clément Eugène Jean Maurice Cocteau, dit Jean Cocteau, joue un rôle ambigu durant la Seconde Guerre mondiale. En effet, les résistants l'accusent de collaboration avec les Allemands. Pendant l’Occupation, il écrit dans l’hebdomadaire collaborationniste La Gerbe, accueille à Paris des artistes du IIIᵉ Reich et prend sous sa protection, après la guerre, Leni Riefenstahl, célèbre réalisatrice de propagande nazie, qu’il soutiendra pendant sept ans.
Ceux qui font le choix de la Résistance
En face, nombreux sont ceux qui ont refusé la compromission. Certains ont rejoint la clandestinité, d’autres se sont mobilisés dans la lutte armée ou ont choisi la voie de la résistance intellectuelle. Leurs motivations furent diverses : conviction politique, exigence morale ou attachement profond à la liberté.
Parmi ces figures, il est difficile de ne pas évoquer d’emblée l’icône du music-hall français, Freda Josephine McDonald, plus connue sous le nom de Joséphine Baker. Devenue française en 1937 par son mariage avec un industriel juif, elle œuvre au service de la Résistance. Engagée auprès des services de renseignement, elle prend de nombreux risques en dissimulant et en transmettant des informations lors de ses tournées à l’étranger. Elle reçoit la médaille de la Résistance française en 1946, et entrera au Panthéon le 30 novembre 2021.
Jean Villain-Marais, dit Jean Marais, idole de toute une génération à la fin des années 1930 et amant de Jean Cocteau, se fait remarquer en 1941 pour avoir agressé un journaliste d’un journal collaborationniste ayant attaqué publiquement l’homme qu’il aimait. Afin d’éviter des poursuites, Cocteau sollicite alors l’aide de son ami Arno Breker, sculpteur officiel du IIIᵉ Reich, qui intervient pour faire classer l’affaire. Ce moment charnière contribue à renforcer la popularité de Jean Marais, perçu par certains comme un symbole de courage et de loyauté. Plus tard, il rejoint les Forces françaises de l’intérieur, où il participe aux missions de ravitaillement en carburant et en vivres, au volant d’une jeep.
Jean Gabin intègre, quant à lui, un régiment de fusiliers marins à Cherbourg avant d'être démobilisé et de s'enfuir aux Etats-Unis, refusant de jouer dans des films à la solde de la propagande allemande. Il revient en France en 1943 pour s’engager dans l’armée et plus précisément dans les forces navales. Jusqu’à la fin de la guerre, il combat l’armée allemande en participant à diverses opérations ; il devient notamment chef de char, puis prend part à la reconquête de l’Allemagne par les Alliés.

Dans le monde des écrivains, citons Joseph Kessel, parfois surnommé « Jef », qui est tout d’abord correspondant au début de la guerre, avant de rejoindre la Résistance et de rallier le général de Gaulle à Londres. Il y compose, avec son neveu Maurice Druon, les paroles du Chant des partisans, devenu l'hymne de la Résistance, et écrit L'Armée des ombres en hommage à ses combattants. Il termine la guerre avec le grade de capitaine dans l'aviation.
Enfin, une autre figure, moins connue du grand public, est celle de David Olère, né David Oler. Peintre et sculpteur d’origine polonaise, naturalisé français, il est déporté à Auschwitz en 1943. Là-bas, il est affecté au Sonderkommando (le « commando spécial »), unité chargée de manipuler les corps dans les chambres à gaz et de récupérer tout objet de valeur avant de les charger dans les fours crématoires. Cette expérience, manifestant une extrême violence, marquera toute son œuvre.
À son retour en France en 1945, le survivant David Olère entreprend de représenter ce qu’il a vu. Il réalise une série de cinquante dessins, minutieusement détaillés, qui retracent le processus d’extermination et les scènes dont il a été le témoin. Ces dessins serviront de base à ses peintures des années suivantes, devenues un témoignage rare et précieux sur la réalité des camps d’extermination nazis.

Entre trahison et héroïsme, l’attitude des artistes et intellectuels français pendant la Seconde Guerre mondiale rappelle que la culture n’est jamais neutre en temps de crise.
Les œuvres ne s’écrivent pas hors du monde : elles le traversent, le reflètent ou le contestent.
Certains ont mis leur talent au service de l’oppression, d’autres au service de la liberté. Ces engagements - ou ces absences d’engagement - laissent une empreinte durable, non seulement dans la mémoire collective, mais aussi dans les œuvres elles-mêmes.
Une question demeure néanmoins : que signifie « résister », lorsque tout pousse à se taire, à céder ou à profiter ?