Darwinisme social : l’influence d’une théorie sur le génocide de Adolf Hitler
- Maréva Mejean
- il y a 2 jours
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Le professeur Johann Chapoutot exprimait lors d’une interview pour LVSL : « Les nazis n’ont rien inventé. Ils ont puisé dans la culture dominante de l’occident libéral ». Cette analyse souligne que les fondements du massacre le plus sombre de notre histoire orchestré par Adolf Hitler, sont sans aucun doute antérieurs à la politique nazie.
Il faut remonter au XIXe siècle, une période durant laquelle le darwinisme social s’est développé sous l’influence de Herbert Spencer, qui a appliqué la théorie de l’évolution de Charles Darwin à l’étude des relations sociales. Cette théorie consiste à affirmer que dans chaque génération au sein d’une société, une sélection naturelle s’opère, permettant aux individus les plus aptes de se reproduire, tandis que les autres en sont empêchés. Pour autant, Darwin lui-même s’est toujours opposé à l’utilisation de sa théorie pour analyser les relations sociales.
Pour les darwinistes sociaux, cette sélection serait essentielle lorsque deux nations entrent en conflit. Celle dont les individus se sont le mieux adaptés aux contraintes sociales dominera celle dont les individus le sont moins. De ce fait, les lois sociales sont considérées par les darwinistes sociaux comme des outils qui viendraient favoriser la production des inaptes et par voie de conséquence, l’affaiblissement de la race humaine et de la Nation. C’est, dans cette lignée, que la politique nazie va être fondée sur un rejet constant des lois sociales.
Cette période de l’histoire, très souvent présentée comme une sphère temporelle en rupture avec la culture libérale et la philosophie des Lumières de l’Occident, n’est en réalité que le prolongement de l’impérialisme dominant occidental des siècles précédents.
Impérialisme occidental et eugénisme Américain : précurseurs de l’idéologie nazie
Les pays européens
Les premières formes du darwinisme social précèdent l’Allemagne nazie. Elles s’inscrivent dans un contexte de colonisation, qu’elle soit britannique ou française. La politique impérialiste reposait sur un socle commun à la politique nazie : la domination de race dite « inférieure ».
Aux XVe et XVIe siècles, la colonisation visait à christianiser les territoires. La seconde génération de colonisation, au XIXe siècle, reposait sur une mission d’ordre moral, c’est-à-dire répandre la civilisation et le progrès scientifique, censés apporter le bonheur à l’humanité. Cette politique coloniale s’appuie sur une prétendue considération scientifique : la supériorité génétique de la race européenne sur les races africaine et asiatique. C’est dans le processus colonial que l’on peut observer les premières formes de darwinisme social. Cette supériorité se traduit notamment par le régime dérogatoire infligé aux indigènes à travers le code de l’indigénat, instaurant des peines exceptionnelles et privant ces populations de droits politiques et civils. Cette différence de traitement est justifiée par les puissances coloniales d’une prétendue démarcation civilisationnelle avec les colonisés.
L’anthropologue Georges Vacher de Lapouge va conceptualiser cette culture dominante en France, en associant le darwinisme social d’Herbert Spencer à une doctrine racialiste. Il développe une classification nette des individus selon leur intelligence et leur prétendue race. Dans sa théorie, il distingue la race blanche aryenne, dominante et porteuse de grandeur et la race brune, considérée comme inerte et médiocre. Il va même élaborer une classification au sein même de la race européenne, reposant sur une corrélation entre la taille du crâne et le degré d’intelligence. De ces travaux ressort un bilan : la race « nordique » est indiquée comme supérieure à la race méditerranéenne. Ces recherches fourniront des éléments fondateurs à la doctrine nazie et contribuant à l’antisémitisme allemand.

La politique du XIXe siècle se construit sur une interprétation scientifique du monde, écartant les considérations morales.
Les États-Unis
Au-delà de la mise en place de la ségrégation raciale, mettant en évidence le mépris de la race supérieure envers les races dites « inférieures », les États-Unis seront les premiers à développer une politique visant à préserver la qualité génétique de la race supérieure, bien avant l’Allemagne nazie.
Cette politique se traduira par un eugénisme positif : au sein même de la race supérieure, un certain contrôle de la reproduction sera effectué par le biais de certificats prénuptiaux et de l’interdiction du mariage entre les blancs et les personnes de couleur. Au début du XXe siècle, les États-Unis iront plus loin en développant un eugénisme négatif à travers un programme de stérilisation forcée. Les premières lois sont apparues dans le Michigan et en Pennsylvanie en 1907 mais ont été un échec. Deux décrets de l’État de Virginie de 1924, mettront en place une politique monstrueuse de stérilisation forcée : le Racial Integrity Act (loi pour préserver l’intégrité raciale) et le Stérilisation Act. Ils consistaient à stériliser les femmes diagnostiquées comme atteintes de maladies mentales sur simple accord du directeur de l’établissement dans lequel elles étaient internées.
Bien que cette loi constitue une ingérence et une atteinte à la dignité humaine, elle fut considérée licite par la Cour suprême des États-Unis le 2 mai 1927, sur le fondement de la solidarité nationale. Les juges de la Cour suprême ont estimé que porter atteinte à la dignité humaine par la stérilisation forcée était comparable à l’imposition de la vaccination par le législateur, au nom des considérations nationales de santé. Cet exemple justifie le mépris des races considérées comme inférieures.
Cette politique eugéniste a été commune à de nombreux pays européens. La politique eugéniste suédoise adoptée en 1935 et appliquée jusqu’en 1970, a touché 60 000 personnes considérées comme inaptes ou attardées, dont la reproduction aurait coûté trop cher à la société. Le Canada a adopté une loi similaire en 1928, le Sexual Sterilization Act, permettant la libération des patients détenus dans les hôpitaux à condition d’éliminer le risque de procréation. Cette stérilisation a nécessité un consentement jusqu’en 1937, année où la loi fut réformée pour permettre la stérilisation en l’absence de consentement. Ces politiques ont été mises en place en Norvège (1934), en Estonie (1937) et en Suisse (1928).
Cette politique eugéniste sera l’un des instruments inquiétants employés par l’Allemagne nazie pour préserver la race aryenne.
L’influence du darwinisme social dans le développement de l’idéologie nazie
Le darwinisme social a été introduit en Allemagne par Houston Stewart Chamberlain au début du XXe siècle. Selon lui, l’existence de races entre les individus est un concept cohérent qui dissout toute idée d’une humanité unifiée. Sa théorie repose donc sur le rejet de la philosophie des Lumières et du principe d’égalité. Ces principes ont servi les rédacteurs de la Constitution de Weimar de 1919.

Tout comme Georges Vacher de Lapouge en France, Houston Stewart Chamberlain combine le darwinisme social avec des doctrines racialistes, considérant la primauté d’une race sur une autre. Ludwig Woltmann affirme que la race allemande, communément qualifiée la « race aryenne », est supérieure à toutes les autres races. Selon lui, cette race est destinée à dominer le monde, mais son ambition est freinée par l’existence d’autres races. Cette idée sera poussée à son extrême jusqu’à considérer que la race allemande est en train de disparaître biologiquement, une issue qui ne pourrait être évitée que par une réaction brutale de l'Allemagne. . Ludwig Woltmann évoque l’idée d’une « lutte des races », un concept selon lequel la race supérieure doit reprendre le contrôle. Cette approche sera considérée par l’Allemagne nazie comme une loi naturelle.
La matérialisation du darwinisme social au sein de l’Allemagne nazie se traduit donc par un programme de stérilisation forcée des « races inférieures », un programme Lebensborn, consistant en une sélection des individus les plus aptes à la reproduction afin de développer la race aryenne, et un programme d’élimination des races dites « inférieures » par la solution finale : la Shoah. Le point commun de ces trois processus est la domination d’une race sur toutes les autres.
Le programme eugéniste
Quand bien même la stérilisation forcée a été adoptée dans plusieurs pays européens, le programme instauré par l’Allemagne nazie est devenu nettement plus radical que celui de ses homologues à partir de 1933. La loi sur la protection de la santé héréditaire visait à rendre obligatoire la stérilisation forcée des personnes atteintes de handicaps et de troubles médicaux, par exemple en cas de schizophrénie. Près de 400 000 Allemands furent stérilisés, leur reproduction étant considérée comme un fardeau financier pour l’État.
L’eugénisme sera poussé à son paroxysme en 1939 avec la mise en place d’un programme d’euthanasie envers les handicapés mentaux. Dans un premier temps, seuls les enfants furent concernés, puis la mesure fut généralisée aux adultes, placés en institution dès octobre 1939. Près de 250 000 individus furent euthanasiés, y compris des Aryens considérés comme inaptes à faire prospérer la race supérieure. Ce programme d’euthanasie visait à restaurer l’intégrité raciale de la Nation allemande, témoignant ainsi de la cruauté et de la violence du régime nazi.

Cette mesure constitue la première étape du processus génocidaire prévu par la solution finale, qui consistait en l’extermination des Juifs d’Europe. Considérés comme des « microbes mortifères » altérant la race aryenne, les Juifs furent éliminés sous le régime nazi, tout comme les Tsiganes, les Arabes et tous ceux jugés incompatibles avec ces critères.
L’objectif n’étant plus de hiérarchiser simplement les individus selon leur race et de leur infliger un régime dérogatoire, mais bien d’éliminer physiquement les races dites inférieures. Le darwinisme social fut alors poussé à sa frénésie.
Le programme de lebensborn
Cette théorie se manifeste aussi par la volonté de développer la race aryenne pour en faire la race dominante. C’est dans ce contexte que l’Allemagne nazie a mis en place un programme de naissance : le Lebensborn. Une sélection était effectuée parmi la population européenne afin d’obtenir la « pureté raciale ». Ce programme consistait à choisir des femmes et des hommes de race aryenne destinés à la reproduction. Tout un schéma de reproduction était mis en place dans les pouponnières du Reich, depuis l’accouplement jusqu’à la naissance. Au sein de celles-ci des sélections étaient régulièrement effectuées. Les enfants qui ne correspondaient pas aux critères de pureté raciale étaient euthanasiés.
Cette période est ancrée dans des décennies de domination européenne. Elle est le fruit d’une montée en puissance du darwinisme social, combiné aux doctrines racialistes détournées par l’Allemagne nazie pour élaborer le plus grand génocide connu au nom de la survie de la race allemand. L’eugénisme américain sera invoqué lors du procès de Nuremberg par les chefs nazis cherchant à légitimer leurs politiques génocidaires. Une justification chimérique, révélatrice du mépris des dignitaires nazis envers les milliers de victimes de cette politique.