Joseph de la Porte du Theil : les Chantiers de jeunesse pour former des hommes sous le régime de Vichy
- Alain Rieunier
- 28 mai
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 juin

Former des citoyens dévoués à la France et à son avenir. Telle est la mission de Joseph de la Porte du Theil quand il fonde les Chantiers de jeunesse à la demande de Pétain en 1940. Sa formation scout et sa vocation d’enseignant vont définir le quotidien des jeunes formés. Quand le STO - Service du Travail Obligatoire - réquisitionne les jeunes des Chantiers à partir de février 1943, Joseph de la Porte du Theil et ses cadres vont aider les jeunes à rejoindre massivement le maquis ou l’Armée d’Afrique du Nord.
Vocation et carrière militaire
Né dans une famille de l'ancienne noblesse en 1884 à Mende, Joseph de la Porte du Theil mène de brillantes études qui l’amènent à réussir le concours de l’école Polytechnique en 1903. À sa sortie, il choisit l’artillerie. Il participe à la Première Guerre mondiale, capitaine puis chef d’escadron d’artillerie, puis il devient, après le conflit 1914-1918, professeur d’artillerie à l'École d'application d'artillerie à Metz et à l'École de guerre à Paris. Promu lieutenant-colonel en 1928, puis colonel en 1930, il devient général commandant de l'École d'application de l'artillerie de Fontainebleau en 1935. Il se fait remarquer en 1940 pendant la campagne de France. Il commande le 7ème corps d’armée à Reims sur le front de l’Aisne. Malgré la percée ennemie, et le repli de ses troupes sur Epernay, sa stratégie et son dispositif ne sont pas vaincus par l’armée allemande.
Création des Chantiers de jeunesse
Le 22 juin 1940, Pétain signe l’armistice avec l’Allemagne. Le service militaire obligatoire n’existe plus. Le 30 juillet 1940, il est remplacé par un substitut : les Chantiers de jeunesse. Le général Colson, alors ministre de la Défense nationale du gouvernement de Pétain, demande au général Joseph de la Porte du Theil de les créer. Afin de ne pas apparaître aux yeux de l'occupant comme une organisation militaire, les Chantiers sont placés sous la tutelle du Secrétariat d'État à l'éducation nationale et à la jeunesse.
Organisation des Chantiers de jeunesse
L’organisation des Chantiers est pourtant digne d’un organigramme militaire : Le commissariat général coordonne 6 commissariats régionaux. Chaque commissariat régional supervise une école de cadres et 8 à 10 groupements, assimilables à des régiments, de 1 500 à 2 200 hommes. Chaque groupement est divisé en 6 à 12 groupes, assimilables à des compagnies de 150 à 200 hommes chacune. Les groupes sont divisés en équipes.
Tous les Français de la zone libre de la classe 1920, 1921 et 1922 doivent s’y inscrire pour un stage de six mois (huit mois à partir de 1941).
Conserver l’ordre public et former les jeunes
Il y a plusieurs objectifs avec la création des Chantiers de jeunesse.
Un objectif d’ordre public. Pétain, en encadrant les jeunes, cherche à se prémunir contre les risques d’une agitation de la jeunesse. Sans trop y croire, il constitue une réserve mobilisable en cas de reprise éventuelle des hostilités. De leur côté, les Allemands se méfient en créant des commissions de contrôle qui s’avèrent finalement sans grande activité.
Pour « museler » les jeunes, les conditions sont sévères. Aucune « politique » n'est tolérée : interdiction de la propagande des partis collaborationnistes et des organisations de Résistance, absence de radios, de débats et autres moyens de communication qui, même censurés, peuvent permettre aux jeunes de suivre l'évolution de la guerre, de la politique du régime et de se faire une opinion personnelle.
Un objectif de formation des jeunes. Les jeunes vivent en camp à la manière du scoutisme, les groupes sont implantés dans la nature. Ils y apprennent le respect du chef et la discipline. Aucune instruction militaire ne leur est délivrée tant sur la technique que sur le maniement des armes.
La formation dispensée est fondée sur les principes retenus par le général de la Porte du Theil : entraînement physique, instruction civique, travaux d'utilité générale (travaux forestiers et agricoles, entretien de routes et de canaux), instruction professionnelle de base (menuiserie, ferronnerie, électricité). Les activités culturelles sont encouragées (chant en chorale, théâtre, histoire régionale).
Les jeunes sont formés pour devenir des citoyens à part entière, dévoués au bien commun.

L’influence de Joseph de la Porte du Theil
Le scoutisme est la source de l'appétence de Joseph de la Porte du Theil pour l’encadrement et la formation de la jeunesse. L’histoire retient plus sa capacité de formation que son excellence militaire. Ses affectations d'enseignement en écoles militaires l’emmènent dans une passion pour former les jeunes, transmettre la rigueur et la vie de groupe, prôner les valeurs humaines, contribuer à apporter à la nation française des hommes formés à sa croissance.
Les nombreuses instructions écrites de Joseph de la Porte du Theil sont fortes des valeurs et influences qu’il souhaite transmettre :
On ne reprend pas les hommes avec des discours moralisateurs mais grâce à des chefs vivant en contact permanent avec eux, leur inspirant confiance et prêchant par l'exemple ;
Il faut faire confiance aux jeunes. Il ne s'agit pas de leur répéter qu'on a confiance en eux mais de le leur témoigner ;
On peut tout obtenir des jeunes à condition de leur donner à faire des choses dont ils sentent l'utilité et la grandeur ;
Le chef doit éviter la familiarité et donc maintenir des marques extérieures de respect.
Démantèlement des Chantiers par le STO
À la fin du mois de février 1943, l’ambiance change radicalement au sein des Chantiers de jeunesse. Le gouvernement de Vichy promulgue le STO, Service du Travail Obligatoire, le 15 février 1943 pour fournir de la main d'œuvre à l’Allemagne.
Les Chantiers sont alors un piège pour les centaines de milliers de jeunes gens astreints au STO. Tous les jeunes garçons nés en 1920, 1921 et 1922, sont réquisitionnés. Les Chantiers mobilisent la classe appelée sous leurs drapeaux en novembre 1942, au nombre de 32 000 jeunes français. 16 000 d'entre eux sont envoyés en Allemagne avec le concours actif de la Porte du Theil et de ses subordonnés. Sur les 16 000 autres jeunes des Chantiers non partis en Allemagne, 7 000 s'évanouissent dans la nature (maquis, passage en Espagne pour rejoindre l’armée de l’Afrique du Nord) souvent avec le concours des chefs de groupement et 9 000 sont astreints au travail obligatoire en France.
Le STO va démanteler les Chantiers en raison des prélèvements continus de travailleurs pour l’Allemagne. À partir de septembre 1943, avec la réduction brutale des effectifs des Chantiers, Joseph de la Porte du Theil se décide enfin à tout faire pour limiter le départ de ses jeunes au STO. Cette action tardive va néanmoins le mettre dans le viseur des autorités allemandes.
Fidélité à Pétain
À l’automne 1943, Joseph de la Porte du Theil ne cède pas aux sirènes de la Résistance qui souhaite l’enrôler. Il reste fidèle à Pétain et au gouvernement de Vichy. Surveillé par les Allemands, car entravant la mise à disposition des jeunes des chantiers pour le STO, un décret du 3 janvier 1944 du gouvernement de Vichy met fin à ses fonctions. Conscient de la suite logique, il ne fuit nullement ses responsabilités et refuse de s’enfuir. Le lendemain, 4 janvier 1944, présent à son bureau de Châtel-Guyon, les Allemands procèdent à son arrestation.
Emprisonné à Munich puis en Autriche, il est libéré par un détachement de l'armée française le 4 mai 1945. Laissé en liberté à son retour en France, ses activités passées font tout de même l’objet d’une instruction par la Haute cour de justice.
Reconnaissance des Chantiers de jeunesse
Traduit devant la Haute cour de justice en novembre 1947, un arrêt de non-lieu est émis en faveur de Joseph de la Porte du Theil pour 4 raisons principales :
La Haute cour considère que les Chantiers de jeunesse ont réussi à éviter que les jeunes hommes français soient en contact avec la propagande allemande ou ne tombent dans la collaboration ;
Concernant spécifiquement Joseph de la Porte du Theil, de nombreux témoignages confirment son attachement à Pétain, son caractère patriotique et son positionnement anti-allemand ;
L’entrave systématique de mise à disposition des jeunes des Chantiers pour le STO à partir de septembre 1943 par Joseph de la Porte du Theil plaide en sa faveur ;
Les Chantiers de jeunesse ont fourni de nombreux combattants pour la Libération : 60% des effectifs européens de l'armée d'Afrique (40.000 sur 70.000 hommes), la majorité des 380.000 jeunes passés par les Chantiers rejoint les unités de la 1ère armée (de Lattre) ou les FFI. La formation dispensée et le caractère patriotique entretenue par Joseph de la Porte du Theil sont considérés comme étant à la genèse de cet engagement.
Le chef d'indignité nationale, défini par l'ordonnance du 26 décembre 1944, n’est pas retenu pour Joseph de la Porte du Theil par la Haute cour de justice.
Joseph de la Porte du Theil décède en 1976, à l’âge de 92 ans, veuf de Geneviève Morin (avec laquelle il a eu 6 enfants), à Sèvres-Anxaumont dans la Vienne dans un anonymat relatif. Commandeur de la Légion d’honneur en 1941, Croix de guerre 1914-1918, Ordre de la Francisque.
L’héritage particulier des Chantiers de jeunesse
Bien que de nombreux historiens continuent de s’opposer sur une vision contraire des Chantiers de jeunesse, ces derniers laissent tout de même un héritage particulier d’une France divisée en deux pendant la période 1941-1945.
Considéré par ses critiques comme l’Armée de Pétain, un instrument du gouvernement de Vichy et un piège pour les jeunes ayant fait le STO en Allemagne, ses laudateurs mettent en avant les actes de résistance, la formation dispensée et l’apport des jeunes au maquis et à l’armée d’Afrique du Nord.