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L'état d'esprit des soldats allemands en France occupée

Maximilien Leone

Soldats de la Wehrmacht à Paris 19. VIII 1941 ·  ©  Auteur inconnu / Flickr
Soldats de la Wehrmacht à Paris 19. VIII 1941 ·  ©  Auteur inconnu / Flickr


Le 10 mai 1940, l'Allemagne nazie mène une offensive sur le front occidental violant la neutralité des Pays-Bas et de la Belgique afin d'atteindre la France. Cette invasion entraînera de lourdes pertes pour la France ainsi que l'exode de millions de Belges et de Français. En effet, près de 100 000 soldats français sont tués et 120 000 d'entre eux ont été blessés. Cette défaite trouve son origine principale dans une stratégie caractérisée par un immobilisme hérité de la Première Guerre mondiale. L'essentiel des forces françaises étant concentrées derrière la ligne Maginot, un réseau de fortifications s’est construit  le long de la frontière franco-allemande, ce qui couvre mal la charnière ardennaise. De plus, l'aviation française en infériorité numérique ne parvient pas à contrer les raids en piqué des bombardiers allemands. Face à une situation de plus en plus critique, l'appel à cesser les combats laisse rapidement place à l'armistice qui sera signé à Rethondes le 22 juin 1940. Celui-ci prévoit d'importants bouleversements territoriaux et économiques. Dès lors, la France passe sous occupation allemande. À la signature de l'armistice, environ 2 millions de soldats allemands sont présents sur le territoire. Quel était l'état d'esprit de ces soldats ? Leur rapport à la France et à sa population ? Leur vision du conflit ? Au travers de la correspondance à leur famille, leurs journaux, se dressent des portraits variés apportant un regard neuf sur cette période de l'Histoire.



1940 : le temps des vainqueurs


À gauche les troupes allemandes défilant sur l'avenue Foch à Paris le 14 juin , à droite un parisien consterné regarde les troupes défilées ·  ©  Auteur inconnu / Sud Ouest
À gauche les troupes allemandes défilant sur l'avenue Foch à Paris le 14 juin , à droite un parisien consterné regarde les troupes défilées ·  ©  Auteur inconnu / Sud Ouest

Le 14 juin 1940, l'armée allemande entre dans Paris déclaré ville ouverte. L'avancée des troupes allemandes s'est faite à marche forcée. Les fantassins ont eu du mal à suivre la cadence imposée par la division blindée. Ce sont des soldats épuisés, mais convaincus d'une victoire prochaine qui prennent possession des villes et des villages.


« Paris a été déclaré ville ouverte et nous l'avons occupée sans combat. Le « cœur » de la France est dans nos mains Fantastique !  Le défenseur de Verdun a repris les affaires du gouvernement. Nous pensons que ce dernier changement ne signifiera pas un allongement mais bien plutôt un raccourcissement de la guerre. » - Arnold Binder, le 14 juin 1940

L'arrivée des soldats allemands entraîne un exode massif de la population. Une cohorte désordonnée et cacophonique où se mêlent voitures, vélos, charrettes emplies d'effets d'une vie et de familles entières à pied saturent les routes. Près d'un tiers de la population adulte nationale – 6 à 8 millions - migre dans la plus grande précipitation vers le sud.


Si le gouvernement français a bien prévu des camps pour accueillir des réfugiés belges dans la région frontalière, aucune infrastructure n'existe au sud de la Loire pour héberger les réfugiés. Certains soldats allemands sensibles au sort de la population leur viennent en aide, allant jusqu'à donner leur nourriture.


« Souvent quand une femme avait beaucoup d'enfants, j'ai donné ma ration du soir pour apaiser un tout petit peu la faim de ces pauvres gens. Je n'ai pas pu supporter ça, je ne voyais pas l'ennemi en eux. » -  H.B. Maréchal des logis, 22 juin 1940

Dès 1933, la politique économique du troisième Reich a pour but l'autarcie, c'est-à-dire le développement et la consolidation économique nationale. Cela n'arrivera pas, car la production nationale chute et les réquisitions dans les territoires occupés ne suffisent pas à la compenser et à partir du 27 août 1939, le rationnement de la nourriture est mis en place en Allemagne. Pour les soldats présents en France, c'est l'occasion d'acheter à un taux avantageux des produits devenus rares ou introuvables en Allemagne.


« Je vous ai envoyé 13 petits paquets. [ …] 2  morceaux de savon, 2 tablettes de chocolat au lait,  une crème pour le visage authentiquement parisienne. […] Après j'aurais une vraie petite Parisienne à la maison. » -  Martin Meier,  à Versailles le 8 juillet 1940

Pour la plupart des soldats allemands, leur présence en France est aussi leur première sortie du territoire. Munis de petits appareils photo, ils arpentent les rues de Paris. Autant de clichés envoyés à leur famille qui donnent l'allure d'un voyage touristique. Où qu'ils soient, certains soldats louent la beauté des paysages environnants. À l'instar d'Ernst Guiking qui décrit dans plusieurs lettres adressées à sa femme Irène Reitz son admiration pour le Mont Blanc.


« Hier, je t'ai parlé du Mont Blanc, ma petite, c'était une vue étourdissante. […] Le soleil couchant jetait ses derniers rayons sur son sommet enneigé. Ce fut un jeu splendide. […] Les glaciers brillaient de toutes les couleurs. J'ai regretté d'être obligé de partir. Irène, je n'oublierai jamais cette image. C'était la première fois que je voyais un glacier. » - Ernst Guicking, le 11 juillet 1940

À mesure que les mois passent, les soldats allemands s'acclimatent de plus en plus à leur nouvelle vie et à une apparente tranquillité qui peine à masquer les tensions.



1941 : heureux comme un allemand en France


Soldats Allemands discutant avec des parisiennes ·  ©  Auteur inconnu / Bundesarchiv Berlin
Soldats Allemands discutant avec des parisiennes ·  ©  Auteur inconnu / Bundesarchiv Berlin

En 1941, les 80 000 soldats qui sont sur le territoire et qui ne sont pas partis dans les Balkans se font à la routine de l'Occupation. Mais ce calme est un calme d'apparat, car les appels à la résistance civile se font plus nombreux et l'hostilité grandit.  


« On dit qu'il y aura ici aussi une révolution avec le but déclaré de tuer tous les Allemands. Nous devenons plus prudents. Nous oublions souvent complètement que nous sommes assez isolés dans un pays ennemi. » - Albert B., le 20 janvier 1941

À la campagne, l'armée allemande ne dispose pas d'assez de casernes pour héberger tous les soldats qui, par conséquent, logent chez les habitants. La vie à la campagne est rustique. Les habitations n'ont souvent pas d'électricité, pas d'eau et conservent encore le feu de cheminée à l'âtre qui dégage une fumée noire. Toutefois, ce confort minimal n'empêche pas la cohabitation. Tout comme le décrit Albert J. dans sa lettre. Ce fils d'agriculteur évoque le plaisir que lui procure sa situation.


« J'ai pris quartier maintenant chez un fermier qui met toujours son vélo à ma disposition. Les gens sont tous très gentils et aimables avec nous. […] J'ai un excellent lit. […] Je passe souvent la soirée chez ces gens, ce qui me permet d'améliorer ma connaissance du français. » - Albert J., le 27 juillet 1941

La rupture du pacte de non-agression russo-germanique déclenchée par l'opération Barberousse à l'est le 22 juin 1941 est décisive. L'offensive a des répercussions sur l’attitude des Français à l'égard de l'occupant. 1941 s'achève dans un climat répressif entre le 5 et le 20 décembre l'armée allemande est repoussée à 200 km de Moscou. Les États-Unis entrent en guerre après l'attaque de Pearl Harbor et peu à peu, les forces allemandes sont fragilisées.



1942 : la confiance ébranlée


Des soldats allemands entrant dans le centre-ville de Caen (Calvados), pendant la Seconde Guerre mondiale ·  © Auteur inconnu / Archives du Calvados, 2FI/882 
Des soldats allemands entrant dans le centre-ville de Caen (Calvados), pendant la Seconde Guerre mondiale ·  © Auteur inconnu / Archives du Calvados, 2FI/882 

En 1942, la France est sous le joug d'un climat délétère. Le poids de l'Occupation et les travers de la Collaboration ont raison d'une partie des soutiens du maréchal Pétain. L'instauration de la Relève (le départ d'ouvriers spécialisés vers l'Allemagne contre le retour d'un prisonnier français) contribue à la fracture. En effet, cette décision a pour conséquence une hostilité toujours plus grande envers les Allemands et un élan de sympathie pour la résistance intérieure et extérieure de la part de la population française.


« L'après-midi, je me promène avec Loerper à travers la campagne. Parfois, nous rencontrons des fermiers. L'un nous dit en s'inclinant : « Bonjour Musjöh ! » tandis que l'autre se détourne en crachant par terre. »

[ Le soldat a donné un morceau de chocolat à un enfant. ]


« La mère arrache le morceau de chocolat des mains de son enfant et le jette loin derrière avec un cri de dégoût. » - Adolf Görtz, les 3 et 16 mai 1942

La sécurité et le maintien de l'ordre en zone occupée passent sous le contrôle des SS avec la nomination par Hitler le 5 mai 1942 du général SS Carl Oberg qui devient chef supérieur de la police et de la SS. À son arrivée, les persécutions contre les Juifs s’intensifient et le 7 juin 1942 le port de l'étoile jaune devient obligatoire en France et en Europe. De grandes rafles de Juifs ont lieu en juillet et en août. Ernst Jünger fait état de son malaise dans son journal.


« Hier, j'ai rencontré pour la première fois de ma vie l'étoile jaune, portée par trois jeunes filles qui sont passées près de moi, bras dessus, bras dessous. […] - c'est ainsi que je me suis immédiatement senti gêné de me trouver en uniforme. »
« Hier, un grand nombre de Juifs ont été arrêtés ici pour être déportés. On a séparé d'abord les parents de leurs enfants, si bien qu'on a pu entendre leurs cris dans les rues. Pas un seul instant, je ne dois oublier que je suis entouré d'êtres souffrant au plus profond d'eux-mêmes. Si je l'oubliais, quel homme, quel soldat serais-je ? » - Ernst Jünger, le 7 juin et le 18 juillet 1942 à Paris

À cette atmosphère répressive, s'ajoute une propagande omniprésente. Le ministre de la propagande Joseph Goebbels déploie à l'aide de ses services divers moyens pour convaincre les soldats allemands que la guerre sera longue mais victorieuse. 


Cinéma, revues, cabaret, pièces de théâtres. Tout est fait pour que les troupes gardent le moral malgré la situation. Pourtant, ces moyens déployés peinent à faire oublier la réalité du terrain, où les appels à la désobéissance civile et à la résistance relayés par les antennes de la BBC à Londres sont, chaque jour, plus nombreux. Il en résulte une tension permanente qui a raison de l'énergie des soldats à l'image de Siegfried B. qui est exténué.


« En ce moment, je suis sans énergie, ni envie de rien. Je ne veux plus de cette maudite guerre ! Si seulement elle pouvait bientôt prendre fin ! Toute mon ambition est morte. Je suis bien fatigué. »  - Siegfried B., le 6 mai 1942

La fin de l'année 1942 s'achève donc dans l’amertume générale où même la foi en la victoire semble avoir disparu. 


« Il semble souvent que nous-mêmes ne croyons plus vraiment à la victoire. » - Heinrich Böll, le 7 décembre 1942


1943 : l'armée allemande acculée


 Le 22 janvier 1943, lors de la rafle du Vieux-Port, à Marseille ·  ©  Hanns Hubmann / Ullstein bild 
 Le 22 janvier 1943, lors de la rafle du Vieux-Port, à Marseille ·  ©  Hanns Hubmann / Ullstein bild 

1943 est une année rude pour l'armée allemande, car les bombardements des Alliés sur le troisième Reich sont de plus en plus fréquents. Pour la démoraliser et réduire sa capacité à riposter, 7 raids aériens sont effectués sur Hambourg sur des infrastructures industrielles et militaires entre le 25 juillet et le 3 août faisant plus de 45 000 morts. Pour les soldats à l’inquiétude de savoir leurs familles sous les bombes, s'ajoute une situation toujours plus tendue sur le front ouest. En effet, les bombardements alliés touchent également la France.


« À midi, on comptait plus de 200 morts. Quelques bombes ont atteint le champ de courses de Longchamps où se pressait une foule dense. » - Ernst Jünger, le 5 avril 1943 à Paris

L'offensive des Alliés contraint l'armée allemande à mobiliser toutes les forces disponibles. Au côté de soldats aguerris, se trouvent ainsi de très jeunes recrues âgées de 17 ans seulement. Certaines de ces recrues portent un regard en décalage avec la violence de l'environnement.


« Au lointain, tu vois briller la mer. Le soleil y fait étinceler toutes les couleurs, tu peux juste t’extasier, tu t'oublies. » - Peter Pfaff, le 10 octobre 1943


1944 : l'année des vaincus


Un soldat allemand écrivant, 1944  ·  © HILMAR PABEL / AKG-IMAGES / ULLSTEIN BILD
Un soldat allemand écrivant, 1944  ·  © HILMAR PABEL / AKG-IMAGES / ULLSTEIN BILD

En ce début d'année 1944, la situation est critique. En effet, l'armée allemande manque de moyens et peine à défendre ses positions. Dans les airs, l'infériorité numérique de la Luftwaffe, les forces aériennes allemandes, qui ne dispose que de 400 appareils en France, est mise à mal par les forces conjuguées de la Royal Air Force et de l'US army. En dépit de la situation, et du débarquement qui occupe tous les esprits, l'urgence est de réduire les actions de la Résistance. Pour la population qui vit au rythme de coupures d'électricité et de gaz, l'attente du débarquement se fait longue. Le 6 juin 1944, ce dernier arrive enfin, l'ampleur de l'attaque surprend les soldats allemands comme l'atteste le récit de Franz Gockel, 18 ans, veilleur dans un poste fortifié qui surplombe Omaha Beach.


« Mardi, le 6 juin, il y a eu une attaque sans précédent, une attaque inimaginable, du jamais-vu même en Russie. À 1 h 30, on a sonné l'alarme : nous avons été bombardés par les Américains aux deux embouchures de la rivière. Nous attendions, angoissés, vigilants près de nos armes. À l'aube, vers 4 heures, nous avons commencé à deviner la silhouette des premiers gros navires ennemis. À peine les distinguions-nous que des éclairs jaillissaient déjà de leurs canons à une cadence infernale. Bientôt, les premiers obus s’abattirent sur nous dans un vacarme épouvantable. De leur côté, les bombes larguées par les avions n'arrêtaient pas de siffler. Il n'y eut bientôt plus un mètre carré de sol qui ne soit pas touché par les bombes ou par les obus. » -  Franz Gockel, le 10 juin 1944

Entre le 6 et le 10 juin 1944  600 000 soldats américains débarquent sur la plage d'Omaha Beach l'avancée des troupes américaines contraints les soldats allemands à évacuer. À Brest, le soldat Erich Kuby assiste à l'exode allègre des Brestois et Brestoises.



« […] Elles sont joyeuses, patientes et aimables les unes envers les autres, et chaque appel représente un encouragement adressé à l'autre. Parfois je ne peux pas m'empêcher de penser qu'elles sont joyeuses à nos dépens. Ces Français n'ont plus rien de commun avec les réfugiés sur les routes de 1940, qui étaient abattus et désespérés. » -  Erich Kuby le 5 août 1944 

La percée de l'armée américaine à Avranches début août et le débarquement de Provence le 15 août mettent fin aux espoirs de victoire. Les soldats américains continuent leur progression sur le territoire jusqu'à atteindre Paris le 25 août. Les soldats allemands blessés ou n'ayant pas pu fuir sont faits prisonniers. La population parisienne accueille ces derniers avec colère.


« On a entamé la marche la plus humiliante de notre vie. Une vague d'insultes pleut sur nous «  Au poteau assassins ! » On nous battait, on nous bousculait, nous crachait dessus. Des fauves étaient lâchés sur nous. » - Walter D., Paris 25 août 1944

Ainsi, Paris libéré marque la fin de l'Occupation allemande. Quatres années de rapports complexes. Au lendemain de la libération, le temps de la réconciliation n'est pas encore venu les soldats allemands faits prisonniers participent à la reconstruction du pays. Ce temps de captivité sera aussi celui de la cohabitation entre les ennemis d’hier qui vont apprendre à se découvrir. 


En 1947, les autorités françaises proposent à ceux qui le souhaitent de rester en France, en tant que travailleurs civils libres. 700 000 Allemands acceptent. Cette cohabitation prolongée a pour effet de faire le pont entre deux peuples meurtris et participe aux prémices d'une réconciliation afin de ne plus jamais connaître l'horreur de la guerre.

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