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La marche vers la guerre : avril 1938-septembre 1939


Ordre de mobilisation générale de 1939  ·  © Wikimedia Commons
Ordre de mobilisation générale de 1939 · © Wikimedia Commons

D’avril 1938 à septembre 1939, le gouvernement mené par Édouard Daladier mène une politique qui se réoriente vers la droite et rompt avec le Front populaire. Le gouvernement accélère son effort de réarmement tout en basculant  vers une politique étrangère de fermeté face aux revendications d’Hitler. Mais ce tournant ne suffit pas pour éviter la guerre.



Édouard Daladier, un président du conseil en position de force


Du Front populaire à la « concentration républicaine »


Le 10 avril 1938, le radical Édouard Daladier est nommé président du Conseil. Le gouvernement obtient la confiance avec une très large majorité : 587 députés l’ont accordée. La politique menée dans les mois qui suivent précipite la dislocation du Front populaire, déjà à l’agonie. Dès le mois d’août 1938, Daladier annonce des assouplissements dans l’application de la semaine de 40 heures et conclut son discours par la formule « Il faut remettre la France au travail », qui sonne comme un désaveu du Front populaire. Aussitôt, les ministres de gauche démissionnent du gouvernement. Les accords de Munich exacerbent la rupture : les communistes et une partie des socialistes critiquent sévèrement l’abandon de la Tchécoslovaquie. Lors de la séance à la Chambre du 4 octobre 1938, consacrée aux accords de Munich et aux questions financières, Daladier obtient le vote des pleins pouvoirs par la Chambre, sans les socialistes et avec une majorité qui s’est déplacée vers la droite. Ce résultat illustre que les députés du Parti radical votent désormais bien plus souvent avec la droite modérée représentée par l’Alliance démocratique qu’avec les socialistes. 


La majorité du Front populaire est donc remplacée par la majorité de la « concentration républicaine », c’est-à-dire la somme des radicaux et de la droite modérée. Le mois d’octobre 1938 voit le Parti radical et Daladier afficher clairement la rupture avec la gauche. Cette séparation est justifiée par l’opposition « injurieuse et agressive » des communistes à la politique du gouvernement mais aussi par un recentrage du Parti radical vers la droite, censé répondre aux attentes des classes moyennes lassées par les grèves et les occupations d’usine. Le 12 novembre 1938, Paul Reynaud, ministre des Finances, propose un plan de redressement comprenant : la réduction des dépenses, l’assouplissement du contrôle des prix, l’augmentation des impôts et des dérogations massives à la semaine de 40 heures. Ce plan qui revient sur les mesures de juin 1936 est la dernière étape de la rupture, qui est la grève générale du 30 novembre 1938, lancée par les communistes et les syndicats. Daladier accepte l’épreuve de force et l’emporte ; la gauche ne constitue plus une opposition crédible.


Un président du conseil populaire


Cette période de novembre 1938 à septembre 1939 se caractérise par la popularité d’Édouard Daladier, qui dispose d’une  autorité prépondérante, peu commune dans un régime parlementaire. Daladier a l’image d’un homme énergique, simple, honnête, patriote, et venu du peuple (il est le fils d’un boulanger de Carpentras) dont il reste proche.  Il est également crédité comme celui qui a sauvé la paix à Munich et le dirigeant qui s’attelle  au redressement économique du pays tout en le préparant à la guerre. Le président du Conseil reste soumis aux règles du parlementarisme et pourrait être renversé par une motion de censure ou par une opposition du Parlement. Mais la majorité requise pour cette opposition n’existe pas : la droite et le centre droit soutiennent Daladier en le créditant d’avoir mis un terme au Front Populaire alors que la gauche est sur la défensive face à une vague d'anti-communisme qui déferle sur la France et qui unit la droite avec le Parti radical. La gauche est également divisée : les socialistes de la Section française de l’Internationale ouvrière  se répartissent entre la ligne pacifiste de Paul Faure, qui rejette la politique étrangère et intérieure du gouvernement, et celle de Léon Blum, qui critique la politique intérieure de Daladier mais soutient sa politique étrangère et l’effort de réarmement. Daladier est effectivement convaincu, depuis les accords de Munich, que la politique d’Hitler rend la guerre inéluctable et qu’il faut préparer la France. Enfin, Daladier utilise son autorité pour empêcher une reprise des luttes politiques : il s’engage en faveur de la reconduction d’Albert Lebrun  à la présidence de la République lors du scrutin de 1939. L’hypothèse d’un second mandat avait gagné du soutien avec la montée des tensions en Europe, avec la condition d’une réélection de Lebrun au premier tour pour assurer la continuité. Lebrun, après avoir pensé se retirer après un mandat conformément à la pratique de la Troisième République, accepte de se représenter. Cette candidature obtient un large ralliement de la droite, du centre, et même d’une partie de la gauche, alors que les concurrents éventuels renoncent à se présenter (c’est notamment le cas de Pétain dont la candidature avait été poussée par une partie de la droite). L’élection présidentielle de 1939 comporte trois candidats : le président sortant Albert Lebrun, le socialiste Albert Bedouce et le communiste Marcel Cachin. Le 5 avril 1939, les députés et les sénateurs se réunissent à Versailles en assemblée nationale pour voter. Albert Lebrun est réélu dès le premier tour avec 516 voix. 


Les pouvoirs élargis de l’exécutif


Le pouvoir exécutif voit un élargissement de ses pouvoirs pendant cette période. D’avril 1938 à septembre 1939, Daladier a réussi par trois fois là où Blum avait échoué : obtenir le vote des pleins pouvoirs par le Parlement. Le 12 avril 1938, Daladier obtient la possibilité de gouverner par décrets-lois jusqu’au 31 juillet pour prendre des mesures monétaires et économiques. Ces pouvoirs sont de nouveau votés pour une période qui va du 5 octobre au 15 novembre 1938 puis du 19 mars 1939 au 30 novembre 1939. Cette rupture avec la pratique institutionnelle est justifiée par le péril extérieur: le Parlement débat peu des enjeux, à l’exception des questions concernant la défense et la politique extérieure. Daladier va encore plus loin en prenant en juillet 1939 un décret-loi de prorogation de la Chambre jusqu’en juin 1942 (donc deux ans de plus que le mandat initial de 1936). Ce décret-loi rencontre peu d’opposition, Blum se contente tout au plus de le regretter. Cette période pendant laquelle le gouvernement utilise massivement les décrets-lois et met en place une législation répressive est parfois appelée la « dictature Daladier ». Pour les contemporains, cette période correspond à un moment où la Troisième République apparaît requinquée. Tout d’abord car le Front populaire s’était terminé sans gros dommages, simplement par un changement de coalition au sein du Parlement. De l’autre côté de l’échiquier politique, l’extrême-droite apparaît en déclin. Les comploteurs de la Cagoule sont dispersés après des arrestations. Le Parti populaire français (PPF) de Doriot, qui voulait créer un parti de masse fasciste, est lui en pleine déconfiture. Il paye son soutien avoué pour l’Allemagne lors des accords de Munich qui a entraîné de nombreux départs dans l’état major. Puis, le PPF perd le soutien du grand patronat, qui juge le Front populaire plus modéré que ce que le PPF annonçait et se satisfait ensuite de l’arrivée au pouvoir de Daladier en 1938. Plus largement, les classes moyennes se détournent du PPF dans la mesure où elles ont fini par voir un avantage dans les mesures sociales du Front populaire (par exemple, les commerçants ont pu constater que les congés payés apportent une nouvelle clientèle par le tourisme).


Le gouvernement met aussi en place un arsenal répressif. Le décret-loi du 12 novembre 1938 relatif à la situation et à la police des étrangers permet l'assignation à résidence et l'internement des étrangers jugés dangereux pour la sécurité nationale et l'ordre public. Le premier camp est créé en Lozère en janvier 1939. La  fin de la guerre civile espagnole et l’exode des républicains espagnols vers la France entraînent la multiplication des camps à la frontière espagnole. Le décret-loi du 29 juillet 1939 « portant codification des textes relatifs à la sûreté extérieure de l’Etat » définit les notions d’espionnage et de trahison de manière extensive, ce qui ouvre la porte à des arrestations arbitraires. L’arsenal répressif se veut aussi protecteur : le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939 punit d’un an de prison la diffamation et l’injure envers un groupe de personnes qui « appartiennent, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée ».  L’objectif du gouvernement étant surtout de préserver la cohésion nationale. Enfin, le Code de la famille est voté le 29 juillet 1939 : un texte montrant la convergence de l’ensemble des mesures prises vers la défense nationale. Le Code de la famille porte des mesures devant favoriser la natalité, traduisant l’angoisse des décideurs français devant l’écart de population entre la France et l’Allemagne et qui font de la  politique de natalité un consensus dans la classe politique, entraînant notamment des peines sévères contre l’avortement.



La marche vers la guerre


La politique de l’apaisement


L’année 1938 voit le cumul des renoncements devant le Troisième Reich et des  revendications d’Hitler. C’est la continuation de la politique d’apaisement voulue par Pierre Laval en 1935 lors de son passage à la présidence du Conseil, et qui convient à une opinion publique pacifiste. Au début de l’année, Hitler commence à faire pression sur l’Autriche, demandant au chancelier autrichien Schuschnigg de nommer des ministres nazis. Le chancelier autrichien refuse cet abandon de souveraineté et annonce organiser un référendum le 13 mars 1938 pour que l’Autriche affirme sa volonté d’indépendance nationale. Hitler prend les devants pour éviter cette consultation, et il lance ses troupes sur l’Autriche. Le 12 et le 13 mars 1938, l’armée allemande envahit l’Autriche sans affronter de résistance. L’annexion de l’Autriche est approuvée à 99,7 % un mois plus tard. Pendant ces évènements, la France et la Grande-Bretagne ne réagissent pas. Les deux pays ont admis l’annexion de l’Autriche avant même que les troupes allemandes ne traversent la frontière. La France se retrouve également sans gouvernement en mars 1938 après la chute du gouvernement Chautemps, qui se retrouve bien arrangé de ne pas avoir à prendre de décision sur le sujet. Seul le ministre des Affaires étrangères, Yvon Delbos, a tenté d’infléchir la politique britannique en février 1938, pour obtenir un soutien aux initiatives que la France pourrait prendre. Mais, en mars 1938, le gouvernement britannique est désormais composé des partisans de l’apaisement. L’Autriche est annexée alors que la France et la Grande-Bretagne se contentent de condamner tout en rappelant qu’elles n’ont pas d’obligation envers elle.


La prochaine cible d’Hitler, c’est la Tchécoslovaquie, un Etat créé en 1919 et comportant une minorité allemande dans ses frontières dans la région des Sudètes. Le 24 avril 1938, le leader de cette minorité allemande prononce un discours où il annonce le ralliement au programme du parti nazi et rompt la perspective d’un accord avec le président tchécoslovaque Beneš. La Tchécoslovaquie dispose d’une force militaire non-négligeable, d’abondantes ressources, et est liée à la France par un traité d’alliance et d’amitié. C’est une alliance de revers qui doit permettre de contenir l’Allemagne. Le premier ministre britannique Neville Chamberlain annonce vite que le Royaume-Uni ne fera pas la guerre pour la Tchécoslovaquie, appelle à des concessions et propose sa médiation. Daladier et son ministre des Affaires étrangères, George Bonnet, ne veulent pas renier la parole française mais doivent tenir compte d’une opinion publique pacifiste. La proposition britannique de placer la Tchécoslovaquie sous un statut de neutralité vient ramollir une résolution française qui était déjà tiède. La France a informé la Tchécoslovaquie de son intention : en cas d’attaque allemande pour prendre les Sudètes, la France va mobiliser, mais ses troupes serviront seulement à fixer des troupes allemandes sur la frontière franco-allemande ; il n’y aura pas d’offensive française. La France se trouve sur une ligne de crête : elle encourage discrètement la Tchécoslovaquie à accepter la médiation britannique tout en tenant un discours intransigeant sur le  respect de ses engagements, alors que les Français n’ont aucune intention d’entrer en guerre sans soutien britannique. Chamberlain tente une médiation personnelle en rencontrant Hitler, mais ses revendications croissantes sur la Tchécoslovaquie et sa décision de fixer une date limite de résolution au 1er octobre font craindre une guerre inévitable. Chamberlain trouve une solution à la dernière minute : une conférence à quatre en territoire allemand entre l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne et la France. Cette conférence dure quelques heures, dans la nuit du 29 au 30 septembre, et voit Daladier et Chamberlain céder sur toute la ligne. L’Allemagne obtient l’ensemble des territoires revendiqués. En revenant de Munich, Daladier est accueilli triomphalement à l’aéroport, son image de sauveur de la paix devenant un des fondements de sa popularité. Cet accueil a surpris Daladier qui s’attendait à être hué : il a conscience d’avoir tout cédé à Hitler, avec seulement une vague promesse allemande selon laquelle les Sudètes sont la dernière revendication territoriale. Dans Le Populaire, Léon Blum exprime un sentiment similaire : « La guerre est probablement écartée. Mais dans des conditions telles que moi, qui n’ai cessé de lutter pour la paix, qui, depuis bien des années, lui avait fait d’avance le sacrifice de ma vie, je n’en puis éprouver de joie et que je me sens partagé entre un lâche soulagement et la honte. »


 De gauche à droite : Chamberlain, Daladier, Hitler, Mussolini et Ciano (ministre italien des Affaires étrangères) à Munich le 29 septembre 1938  ·  © Wikimedia Commons
 De gauche à droite : Chamberlain, Daladier, Hitler, Mussolini et Ciano (ministre italien des Affaires étrangères) à Munich le 29 septembre 1938 ·  © Wikimedia Commons

La politique de fermeté et le tournant britannique


Le 15 mars 1939, l’Allemagne nazie annexe ce qui subsistait de la Tchécoslovaquie, puis elle annexe le territoire lituanien de Memel le 24 mars 1939. Ce nouveau coup de force d’Hitler amène une inflexion dans la politique étrangère des démocraties libérales. Wladimir d’Ormesson écrit dans une chronique du Figaro : « Il n’y a plus de vie européenne possible dans ces perpétuels recours à l'ultimatum, au déploiement de forces, à la violence ». Lors des débats à la commission des affaires étrangères du Sénat, Pierre Laval, qui avait installé la politique d’apaisement, dresse ce constat : « Aujourd’hui, l’Allemagne qui a perdu la guerre possède des territoires plus étendus que ceux qu’elle avait avant 1914. » Le tournant de l’opinion se retrouve également dans les propos tenus par la droite nationaliste et l’extrême-droite. Le porte-parole du Parti social français du colonel de La Rocque déclare ainsi qu ' « on ne peut plus accorder aucune valeur à la parole ou à la sincérité de monsieur Hitler ». Un nouveau programme d’armement est adopté, prévoyant 65 milliards de francs sur quatre ans. Mais, l’opinion française observe surtout le raidissement du Foreign Office britannique. Au mois de mars 1939, le ministère de la guerre britannique annonce qu' en cas de conflit en Europe, la Grande-Bretagne enverrait sur le continent un corps expéditionnaire bien plus important qu’en 1914. De plus, le premier ministre Chamberlain annonce que la Grande-Bretagne donne sa garantie à la Pologne. La France n’est donc plus seule dans la garantie donnée à la Pologne. Le durcissement britannique favorise le tournant français vers une politique de fermeté.


Cette politique de fermeté vise d’abord l’Italie de Mussolini. Dans un discours du 26 mars 1939, le dictateur italien a affirmé que « les problèmes italiens à l’égard de la France s’appellent Tunisie, Djibouti, canal de Suez », dans la continuité des revendications italiennes formulées en novembre 1938. En janvier 1939, Daladier avait répondu à ces revendications par des déplacements en Corse et en Afrique du Nord. Dans une allocution radiodiffusée le 29 mars, Daladier répond de nouveau à Mussolini, en déclarant que « j’ai dit et je maintiens que nous ne céderons ni un arpent de nos terres, ni un seul de nos droits » et utilise un langage ferme à l’égard de Hitler : « La France espère que la paix sera sauvée, car elle a la haine de la guerre. Mais si la guerre lui était imposée ou si elle lui était offerte comme la seule alternative entre la déchéance et le déshonneur, elle se dresserait d’un seul élan dans la défense de la liberté. » Dans l’été 1939, l’Allemagne nazie commence à faire pression sur la Pologne. Le traité de Versailles avait restauré l’indépendance de la Pologne, il lui a donné un débouché sur la mer par un corridor qui coupe le territoire allemand en deux et a établi la ville de Dantzig comme une ville libre. Hitler veut obtenir le rattachement de ces territoires à l’Allemagne. Daladier décide de suivre la ligne de l’état-major du Quai d’Orsay, qui prône la fermeté. Cette ligne est représentée par le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Alexis Léger, qui persuade Daladier que le Troisième Reich ne résistera pas à un conflit. 


Le 23 août 1939, l’Allemagne nazie signe un pacte de non-agression avec l’Union soviétique, prenant de vitesse les Français et les Britanniques qui cherchaient aussi une alliance avec l’URSS. Le pacte créa un choc en France, Blum écrivant « j’essaierai vainement de dissimuler ma stupeur » dans Le Populaire. Dans les jours qui suivent, Hitler tente d’obtenir de la France et de la Grande-Bretagne qu’elles se tiennent à l’écart du conflit entre l’Allemagne et la Pologne, alors que, le 29 août 1939, Mussolini propose une conférence à Rome ayant pour objet « d’étudier les clauses du traité de Versailles qui sont la cause des troubles actuels ». Le 1er septembre 1939, l’armée allemande entre en Pologne.


Daladier l’emporte sur les pacifistes 


Le gouvernement français est divisé en deux camps : les ministres partisans d’une politique de paix par la fermeté avec Hitler, et les ministres partisans d’une politique de paix par la conciliation. Ces partisans d’une paix par la conciliation critiquent la large garantie donnée à la Pologne, considérant que Dantzig ne méritait pas une guerre. Le chef de file de ces ministres pacifistes est le ministre des Affaires étrangères, George Bonnet, le plaçant en contradiction avec Léger, son secrétaire général. Bonnet a dû appliquer une politique de fermeté en laquelle il ne croyait pas. Lors du conseil des ministres du 31 août 1939, Bonnet prône d’accepter la proposition de Mussolini. Daladier refuse en déclarant avec force : « C’est une réédition de Munich qui se déroulerait cette fois à Rome », alors que « la leçon de Munich c’est que la signature d’Hitler ne vaut rien. » 


Daladier continue de suivre la ligne de la fermeté prônée par Alexis Léger. Le secrétaire général du Quai d’Orsay est résolu à une guerre dont il pense qu’elle entraînera la chute d’Hitler. Cependant, même si Daladier tente d’apparaître comme l’homme de la paix, il s’est résigné à la guerre et est peu disposé à transiger. Le 1er septembre, le gouvernement décrète la mobilisation générale et convoque les chambres pour le 2 septembre.



Septembre 1939 : l’entrée en guerre


Une déclaration de guerre ambiguë


La séance au Parlement montre qu’il existe une minorité organisée et résolue pour s’opposer à la guerre, dont les membres appartiennent à l’ensemble des partis. La séance à la Chambre des députés s’ouvre par la lecture d’un message du président de la République puis par une déclaration de Daladier. La séance est suspendue pour permettre à la commission des finances d’examiner le projet de loi portant ouverture des crédits (soixante-dix milliards de francs). Daladier se rend dans cette commission, où il est interrogé par les parlementaires sur les conséquences du vote des crédits, demandant si ce vote comporte l’autorisation donnée au gouvernement de déclarer la guerre. Le président du Conseil donne une réponse équivoque : le vote des crédits n’entraîne pas nécessairement la déclaration de guerre mais la rend possible. Lors de la reprise de la séance, les crédits sont votés sans débat, la conférence des présidents ayant décidé que personne ne parlerait. Édouard Herriot, le président de la Chambre, a demandé au député radical Gaston Bergery, qui fut son chef de cabinet et qui est le chef de file des pacifistes, de ne pas s’exprimer. Au Sénat, les crédits sont aussi adoptés sans débat, même si Pierre Laval a tenté de s’exprimer pour souligner l’impréparation militaire du pays.


La guerre s’ouvre dans l'ambiguïté, Daladier n’a pas voulu prendre le risque d’un débat explicite pour ou contre la guerre, comme ce fut le cas en 1914. Selon Bergery et Laval, l’entrée en guerre de la France aurait eu lieu illégalement. Cependant, la communication du gouvernement rendait ses intentions claires, et il est à noter que les députés avaient eux-mêmes conscience du sens du vote. Ainsi, à droite, Louis Marin annonce à l'inter séance à son groupe parlementaire « Mes enfants, c’est la guerre ! ». Du côté de la gauche, Blum est tout aussi explicite avec le groupe parlementaire des socialistes, où un exemple montre la conscience du sens du vote : dans ses mémoires, le député socialiste Jules Moch se souvient qu’il s’était effondré en larmes à son banc, ayant peu de doutes sur la signification de son vote.


Le 3 septembre 1939, à 12h30, l'ambassadeur de France en Allemagne annonce au ministre des affaires étrangères Ribbentrop que, à partir de 17h, le gouvernement français se trouvera « dans l’obligation de remplir les engagements que la France a contractés envers la Pologne ». Cette formule vaut déclaration de guerre.


La mise en marche de l’arsenal répressif


L’entrée en guerre voit la mise en application de l’arsenal répressif mis en place par le gouvernement. Ce sont d’abord les communistes qui sont visés, à la suite du pacte germano-soviétique. Le Parti communiste change sa ligne d’opposition à Hitler pour soutenir le pacte, ce qui le discrédite encore plus aux yeux d’une opposition déjà anticommuniste. Le 25 août 1939, Daladier fait saisir L’Humanité et interdit toute réunion publique des communistes. Un décret du 26 septembre 1939 dissout les organisations liées à la IIIᵉ Internationale, visant le PCF comme l’émanation d’une organisation étrangère. La répression vise aussi les élus : 2800 élus communistes sont déchus de leurs mandats, incluant 61 parlementaires. Après cette mesure, le groupe parlementaire communiste constitué en 1936 n’existe plus, ayant déjà été quitté par des députés rejetant la défense du pacte avec l’Allemagne nazie. Les communistes sont condamnés à l’action clandestine.


L’arsenal répressif vise aussi les étrangers : le gouvernement français décide d’interner les ressortissants allemands présents sur le territoire, qui sont considérés comme des sujets ennemis. Dans les faits, cette décision touche surtout des Allemands antifascistes réfugiés en France et qui se retrouvent pris en étau. 


Enfin, l’arsenal répressif est renforcé par le décret-loi du 18 novembre 1939, qui porte une atteinte encore plus forte aux libertés personnelles : il permet d’interner tout individu dangereux pour la défense nationale.


L’état d’esprit des Français : division, résolution et résignation


Comment les Français réagissent-ils à la déclaration de guerre en septembre 1939 ? La France reste un pays divisé, le danger extérieur va croissant depuis 1936, mais il n’a pas provoqué un réflexe d’union sacrée. Ce danger extérieur sert surtout à fournir des arguments au combat politique interne : la gauche accuse la droite d’avoir mené une politique d’apaisement et de capitulation devant Hitler par haine du socialisme, alors que la droite accuse la gauche d’avoir affaibli la France à cause des grèves et des mesures sociales du Front populaire. Dans cette période, la France voit également une vague d'anti communisme, fondée sur la crainte qu’une guerre avec l’Allemagne serait bénéfique à l’Union Soviétique qui pourrait se renforcer et donc permettre de renforcer le communisme en France. Mais la France subit aussi une vague d’antisémitisme, qui cette fois déborde de l’extrême-droite pour gagner l’ensemble des forces politiques. Cet antisémitisme se mêle à la xénophobie : les juifs d’Allemagne d’Europe centrale ont immigré en France pour fuir le nazisme. La crainte au cœur  de cet antisémitisme est que ces juifs vont pousser à la guerre pour secourir leurs coreligionnaires persécutés. Enfin, la France est marquée par le refus viscéral d’une nouvelle guerre, mais se divise sur comment l’éviter. Cette division se retrouve dans l’ensemble des partis politiques (sauf les communistes unanimes dans la volonté de résister à l’Allemagne), qui se divisent entre les partisans des concessions à Hitler et ceux  d’une fermeté pour l’arrêter en l’avertissant que toute nouvelle annexion signifiera la guerre.


Un basculement se produit après les revendications de Mussolini sur les territoires français et l’annexion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne en mars 1939. L’indignation, la fierté nationale et l’espoir placé dans une politique de fermeté ont créé une rareté à la Chambre des députés en mars 1939 : une quasi-unanimité des orateurs exhorte le gouvernement à la fermeté. Du côté de la gauche, Blum tient la SFIO contre les partisans de la conciliation, et il passe l’été 1939 à rédiger des éditos soutenant le gouvernement pour sa politique étrangère ferme. Ce basculement se retrouve aussi dans les organisations d’anciens combattants, qui prennent position pour s’opposer à l’Allemagne. Une voix dissonante se retrouve du côté de la  presse d’extrême-droite : dans L’Action française, Charles Maurras dénonce la « guerre juive » ; alors que les fascistes de Je suis partout titrent « À bas la guerre ! Vive la France ! » le 1er septembre 1939. De même, l’ancien socialiste Marcel Déat a rédigé deux articles au cours de l’année 1939, ayant pour titre « Mourir pour Dantzig ? » et « Négocier pour Dantzig ! ».


La population française est partagée entre la résolution et la résignation. Selon un sondage mené en juillet 1939, 76 % des Français ont répondu oui à la question « Pensez-vous que si l’Allemagne tente de s’emparer de Dantzig, nous devrions l’en empêcher, au besoin par la force ? ». Sur la période d’août à début septembre 1939, les rapports de police et les registres des tribunaux indiquent que les propos défaitistes ou hostiles à la guerre sont rares. Le mouvement pacifiste, en comparaison à septembre 1938, s’est effondré : la base des militants ne suit pas les rares actions menées par les intellectuels. Le préfet du Rhône indique au gouvernement que les meetings tenus par les meneurs pacifistes sont un échec, en contraste avec la ferveur patriotique manifestée par la population le 14 juillet 1939. Les dirigeants d’organisations pacifistes reconnaissent eux-mêmes que leurs actions ont été un fiasco. La mobilisation générale se déroule sans manifestations, ce que le gouvernement considère comme une première victoire. Daladier a tout fait depuis mars 1939 pour que l’opinion publique ne considère pas le gouvernement comme responsable de la guerre. Les rapports des préfets rassurent le gouvernement: les Français ne montrent pas l’enthousiasme de 1914, mais sont résolus ; les appelés sont décidés à accomplir leur devoir. L’agression contre la Pologne a suscité une indignation qui se mêle à la volonté d’arrêter une Allemagne dont les revendications territoriales ont fait mobiliser les français plusieurs fois depuis mars 1938. Mais les Français sont aussi résignés.  Le préfet du Vaucluse indique dans son rapport que « le sentiment de la nécessité, mais aussi celui de la fatalité est général », une des réactions fréquemment signalées étant « Il faut y aller, Daladier dit qu’on ne peut pas faire autrement ». L’Américain Henry Miller, présent à Paris, relève l’absence d’un esprit belliqueux et que les Français ont l’air de considérer cette guerre comme une corvée dont il faut s’acquitter. Les Français ont la lucidité de voir que la déclaration de guerre annonce des malheurs et marque un échec : celui de la politique étrangère, du pacifisme et de l’espérance communiste.



Conclusion


C’est dans cet état d’esprit que la France entre dans une guerre qui, selon l’allocution prononcée par Daladier en septembre 1939, lui a été imposée. Alors que la France va affronter l’Allemagne pour la deuxième fois en 25 ans, réalisant la prédiction du maréchal Foch lors du traité de Versailles (« Ce n’est pas une paix, c’est un armistice de vingt ans »), le front de l’Ouest ne bouge pas et la France s’installe dans la « drôle de guerre ».

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