La musique dans la Seconde Guerre mondiale
- Noa Elfassy en collaboration avec Ilan Chamare
- 16 avr.
- 6 min de lecture

La Seconde Guerre mondiale a été marquée par des conflits d'une violence inouïe, bouleversant la vie de millions de personnes à travers le monde. Dans ce contexte de souffrance, la musique a occupé une place centrale, servant à la fois de soutien psychologique et physique mais aussi d'outil de résistance. Qu'elle soit utilisée par les soldats au front, par les populations civiles ou par les prisonniers dans les camps, la musique a su transcender la guerre en offrant réconfort, espoir et un moyen de lutter contre l'oppression. Ainsi, si Henry David Thoreau déclarait que « dans un univers de paix et d'amour, la musique serait le langage universel » c’est bien parce qu’aujourd’hui, la musique continue de résonner et de jouer un rôle essentiel en tant que médium pour transmettre la mémoire.
La musique comme soutien psychologique et physique
La musique a joué un rôle paradoxal dans les camps de concentration et d’extermination nazis. Pour certains prisonniers, être musicien pouvait représenter un sursis temporaire, bien que cela ne garantisse en rien une survie à long terme.
Dans plusieurs camps, notamment à Auschwitz, des orchestres étaient mis en place par les nazis pour diverses raisons. La musique servait d’abord à la propagande, créant une illusion de normalité pour les nouveaux arrivants et les visiteurs extérieurs. Elle rythmait aussi l’organisation du camp, accompagnant les appels ou les départs et retours des colonnes de travailleurs forcés (comme l’évoque d’ailleurs Primo Levi dans Si C’est Un Homme). Pour les SS, elle constituait un divertissement, les gardiens exigeant des concerts à leur bon plaisir. Dans certains cas, elle prenait une dimension encore plus sinistre : des musiciens étaient contraints de jouer à proximité des chambres à gaz, ajoutant une dimension macabre à l’horreur du processus d’extermination.
Les prisonniers sélectionnés pour ces orchestres pouvaient éviter une exécution immédiate grâce à leur utilité aux yeux des nazis. Mais cette protection restait précaire. Les conditions de détention demeuraient extrêmement dures, et leur sort dépendait des besoins du camp. La maladie, les violences ou une décision arbitraire pouvaient mettre fin à ce fragile sursis à tout moment. Ainsi, si la musique a permis à certains prisonniers de prolonger leur existence, elle s’est aussi imposée comme un instrument de domination et de cruauté au sein du système concentrationnaire nazi.

Mais la musique n’était pas seulement un instrument de contrôle utilisé par les nazis. Pour de nombreux déportés, elle représentait aussi une forme de résistance intérieure, un moyen de préserver une part d’humanité face à l’horreur.
En effet, chanter, fredonner ou même composer en secret permettait d’échapper, quelques instants, à la brutalité du quotidien. Certains chants, souvent transmis oralement, devenaient des symboles d’espoir et de solidarité entre prisonniers. L’un des plus emblématiques est « Zog Nit Keyn Mol », aussi appelé « Le Chant des partisans du ghetto », composé en 1943 par Hirsh Glik, un jeune résistant juif. Ce chant en yiddish, devenu un hymne de la lutte contre l’oppression nazie, portait un message de courage et de détermination face à l’adversité.
Dans les rares occasions où ils en avaient la possibilité, certains musiciens improvisaient des morceaux, parfois avec des instruments de fortune, offrant un instant de répit aux prisonniers autour d’eux. La musique créait du lien, rappelait des souvenirs d’une vie d’avant et insufflait la force de tenir face à l’inacceptable et à la déshumanisation.
La musique comme instrument de résistance
La musique a également joué un rôle crucial dans la résistance contre l'oppression nazie, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur des camps de concentration.
Parmi les symboles musicaux les plus emblématiques de la Résistance française figure « Le Chant des Partisans ». Composé en 1941 par Anna Marly, une émigrée russe, ce chant est devenu l'hymne de la Résistance française. Les paroles, écrites par Joseph Kessel et Maurice Druon, appelaient à la lutte contre l'occupant nazi et apportaient courage et espoir aux résistants. Diffusé sur les ondes de la BBC, il servait de signal pour les actions de la Résistance et renforçait le sentiment d'unité parmi les combattants de l'ombre.
En Allemagne, un mouvement de jeunes appelé les Swing Kids (Swinger Jugend et qualifié de Swing-Heinis soit « nigauds swing » par les nazis) s'est formé dans les années 1930, principalement à Hambourg et à Berlin, en réaction à l'idéologie nazie. Ces jeunes défiaient les normes imposées par le régime en écoutant et en dansant sur du jazz et du swing, genres musicaux considérés comme « dégénérés » par le régime. Leur passion pour cette musique et leur refus d'adhérer aux Jeunesses hitlériennes ou à la Bund Deutscher Mädel (Ligue des jeunes filles allemandes) ont suscité l’inquiétude de Himmler qui a ordonné des enquêtes sur leurs activités et préconisé des peines d’emprisonnement de deux à trois ans dans des camps de concentration en 1942. Malgré cette répression brutale, la Swingjugend a bel et bien incarné, à travers la musique, une résistance culturelle forte face au régime nazi.

Parmi les figures emblématiques de cette lutte, Joséphine Baker se distingue par son engagement remarquable. Déjà célèbre en tant que chanteuse et danseuse, elle a mis son art au service de la Résistance française et utilisé sa notoriété pour lever des fonds et soutenir les forces françaises libres. Ainsi, profitant de ses tournées en Europe, elle cachait des messages codés dans ses partitions musicales, transmettant ainsi des informations vitales aux Alliés. Son statut de célébrité lui permettait de passer inaperçue, faisant d’elle une espionne redoutable. À travers son engagement, elle a montré que la musique n'était pas seulement un moyen d'expression, mais aussi une arme contre l'occupant nazi.

La musique pour faire perdurer la mémoire jusqu'à aujourd'hui
Aujourd’hui, bien après la fin du conflit, la musique continue de jouer un rôle fondamental dans la transmission de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. De nombreux chants et compositions, tels que « Le Chant des Partisans », sont devenus des symboles de la Résistance et sont encore chantés lors de commémorations.
Le cinéma a également largement contribué à perpétuer la mémoire par la musique pour ne pas oublier les horreurs perpétrées, rendre hommage aux victimes et aux héros, mais aussi entretenir une vigilance contre la montée des idéologies totalitaires. La bande originale de « La Liste de Schindler », composée par John Williams et interprétée par Itzhak Perlman au violon, illustre cette idée avec une mélodie poignante empreinte de tristesse et de recueillement qui accompagne les images du film et renforce l’émotion du spectateur. Elle est ainsi devenue un symbole de la mémoire de l’Holocauste.
De la même manière, la chanson « Comme toi » de Jean-Jacques Goldman (1982) rappelle le destin tragique des enfants juifs victimes de la Shoah à travers l’histoire d’une petite fille, Sarah, qui menait une vie ordinaire avant d’être déportée et assassinée. À travers des paroles simples et touchantes (« Sa vie, c'était douceur, rêves et nuages blancs, Mais d'autres gens en avaient décidé autrement », « C'était une petite fille sans histoire et très sage, Mais elle n'est pas née comme toi »), Goldman met en parallèle son destin avec celui d’une enfant d’aujourd’hui pour souligner l’injustice et l’horreur de cette période.
De la même manière, Jean Ferrat évoque les atrocités de la Shoah dans sa chanson « Nuit et Brouillard » (1963), dans des paroles poignantes qui invitent à ne pas oublier cette période tragique : « Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés », « Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres ». Ainsi, à l’instar de la mélodie principale de « La Liste de Schindler », ces chansons sont devenues des hymnes du devoir de mémoire et de la sensibilisation des générations futures sur la barbarie de la Seconde Guerre mondiale.
Conclusion
Pour conclure, la musique a joué un rôle fondamental pendant la Seconde Guerre mondiale à la fois comme outil de survie psychologique et physique, comme instrument de résistance et comme instrument de commémoration et d’entretien du devoir de mémoire. La musique nous rappelle ainsi que même dans les heures les plus sombres de l’Histoire, l’art et la culture restent des antidotes contre l’oubli et l’oppression. Aujourd'hui encore, que cela soit dans les manifestations ou les mouvements sociaux, la musique reste un vecteur puissant de résistance et de solidarité face à l'injustice, mais aussi une façon de transcender les frontières et d'unir les peuples.