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Le gouvernement du Front Populaire

Manifestation du Rassemblement Populaire le 14 juillet 1936, de gauche à droite : Thérèse Blum, Léon Blum, Maurice Thorez, Roger Salengro, Maurice Violette et Pierre Cot  © Auteur : agence de presse Meurisse  / La bibliothèque en ligne Gallica
Manifestation du Rassemblement Populaire le 14 juillet 1936, de gauche à droite : Thérèse Blum, Léon Blum, Maurice Thorez, Roger Salengro, Maurice Violette et Pierre Cot  © Auteur : agence de presse Meurisse  / La bibliothèque en ligne Gallica

Après les deux tours des élections législatives françaises de 1936, la coalition du Front Populaire, rassemblant les communistes, les socialistes et les radicaux, obtient une large majorité à la Chambre des députés. Cette coalition exerce le pouvoir seulement deux ans, mais marque durablement la mémoire collective française.


La formation et la victoire électorale


Former le Front Populaire : combler une vieille division


La crise du 6 février 1934 est un choc pour la gauche française, qui considère l'événement comme une tentative de coup de force fasciste. Les forces politiques et syndicales organisent des contre-manifestations, le 9 et le 12 février 1934. La manifestation du 12 février 1934 vient créer un souhait d’unité d’action entre les militants socialistes et communistes. Mais une alliance est difficile : en 1920, le Congrès de Tours a entraîné la fracture de la Section française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) sur la question de l’adhésion à la Troisième Internationale ouvrière, qui implique d’accepter les vingt-et-une conditions d’adhésions imposées par Moscou. Certaines conditions sont radicales,  leur application viendrait créer un parti au fonctionnement autocratique et visant la prise du pouvoir par la force. 

Les débats sur l’adhésion divisent les militants. Une partie des militants la soutient, par envie de révolution prolétarienne, mais aussi par rejet d’un parti qui a soutenu l’Union sacrée et l’entrée en guerre en 1914. Ces militants sont majoritaires et créent la Section française de l’Internationale communiste (SFIC qui portera plus tard le nom de Parti Communiste Français). Le dernier tiers des militants, incarné par Léon Blum, refuse l’adhésion et entend « garder la vieille maison », c'est-à-dire la maison de Jaurès, du pluralisme, de la démocratie et de la République, et reste dans la SFIO.


La SFIC suivait la politique définie par le Komintern, l’internationale communiste fondée en 1919 par Lénine dont l’objectif est de coordonner les partis communistes à travers le monde, c’est une structure hiérarchique et centralisée qui prend les décisions majeures et formule les stratégies pour les partis membres. Le Komintern avait formulé la stratégie « classe contre classe » qui définit comme ennemis du communisme tous les partis, y compris les partis socialistes qualifiés de « sociaux-fascistes » et « sociaux-traîtres ». Les communistes français opèrent donc un virage spectaculaire et le 27 juillet 1934, le parti communiste signe, avec les socialistes, un pacte d’unité d’action contre le fascisme, la guerre et les décrets-lois préparés par le gouvernement d’Union nationale de Gaston Doumergue. 


Mais en octobre 1934, Maurice Thorez, premier secrétaire de la SFIC, appelle au « Rassemblement populaire », c’est-à-dire « l’alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière ». L’objectif est donc de rallier le Parti radical, considéré comme le parti des classes moyennes. Mais ce ralliement semble compliqué : il existe une opposition fondamentale entre le parti communiste et le parti radical, chacun représentant pour l’autre un mal absolu. De plus, le Parti radical est membre du gouvernement d’Union nationale et semble pencher à droite. Mais l’aile gauche du Parti radical soutient une alliance avec les socialistes et les communistes. Les soutiens de cette alliance comptent les « Jeunes Turcs », une génération de militants née au début du XXème siècle et qui soutient la rénovation de la doctrine du parti ainsi qu'Edouard Daladier. Le président du parti, Edouard Herriot, commence par résister à la pression. Mais plusieurs éléments conduisent à un changement de position. Tout d’abord, le résultat des élections municipales de 1935 voit le recul du Parti radical, sauf dans les communes où il s’était allié à la SFIO. De plus, en 1935, le Komintern change sa stratégie, il désigne le mouvement nazi comme le principal ennemi et prône l’union des partis de gauche. Ce changement de stratégie est causé par un constat simple : la stratégie « classe contre classe » a marginalisé les partis communistes d’Europe et la désignation des socialistes comme le principal ennemi a même permis la victoire du NSDAP (le parti nazi) en lui laissant le champ libre. Ensuite, les communistes changent de stratégie : ils épargnent le Parti radical et adoptent une nouvelle ligne sur les questions de défense nationale. Ce changement est favorisé par la signature, en mai 1935, du traité d’assistance mutuelle entre la France et l’URSS. Le parti communiste adopte alors une position patriotique. Ces changements des positions communistes et la volonté des militants radicaux de réorienter le Parti radical vers la gauche permettent la constitution de ce rassemblement. 


Le 14 juillet 1935, une manifestation rassemble les radicaux, les socialistes, les communistes et les syndicats, qui font le serment  « de rester unis, pour défendre la démocratie, pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour mettre nos libertés hors d’atteinte du fascisme ».


Manifestation du 14 juillet 1935, Paris, Place de la Bastille ·  © Auteur : agence de presse Meurisse / La bibliothèque en ligne Gallica
Manifestation du 14 juillet 1935, Paris, Place de la Bastille ·  © Auteur : agence de presse Meurisse / La bibliothèque en ligne Gallica

La victoire et les espoirs


Le Rassemblement populaire se présente aux élections législatives de 1936 avec un programme électoral modéré, qui correspond à ce qui aurait pu être un programme classique  du Parti radical. La profession de foi tient dans le triptyque « le pain, la paix, la liberté », qui résume les thèmes du programme : lutter contre la crise économique, relancer l’activité économique par des investissements publics et l’élévation du pouvoir d’achat, empêcher toute tentative fasciste et afficher un état d’esprit de défense de la paix.


Le premier tour des législatives a lieu le 26 avril, il voit une participation massive (84 %) et place le Front Populaire en tête, la gauche accentuant son avance sur la droite par rapport aux législatives de 1932. Le second tour donne 369 sièges au Front Populaire et 231 sièges à la droite. Dans cette majorité, les communistes ont obtenu un grand groupe parlementaire avec 72 sièges, les socialistes ont 146 sièges et dépassent le Parti radical pour la première fois de l’histoire parlementaire. Enfin, le Parti radical (avec les Républicains-socialistes) compte 141 sièges, il reste essentiel pour constituer la majorité du Front populaire. 


La SFIO étant le premier parti en termes de sièges, Léon Blum réclame la direction du gouvernement, qui doit s’appuyer sur la majorité et le programme du Front Populaire. Léon Blum envisage l’exercice du pouvoir comme la gestion sociale du régime capitaliste, il n’est pas question de faire la révolution. Mais un climat révolutionnaire s’est développé mi-mai 1936, caractérisé par une vague de grèves qui touche vite l’ensemble des activités et du pays. Ces grèves sont marquantes car l’ampleur est sans précédent (deux millions de travailleurs) et la forme utilisée est particulière, celle de l’occupation des locaux. Ces grèves témoignent de l’attente et de l’espoir du monde ouvrier. L’ampleur des grèves paralyse la France qui semble au bord de la révolution.  Par légalisme, Blum a refusé de prendre plus tôt la tête du gouvernement, il attend le 4 juin 1936, quand il est appelé par le président Albert Lebrun pour former un gouvernement. 


Le gouvernement Blum de juin 1936·  ©  Auteur inconnu / Wikimedia Commons
Le gouvernement Blum de juin 1936·  © Auteur inconnu / Wikimedia Commons

L’exercice du pouvoir : un bilan mitigé


Les réformes sociales et économiques


Léon Blum forme un gouvernement constitué de socialistes et de radicaux, mais néanmoins soutenu par les communistes, et comprenant trois femmes, bien qu'elles n'aient pas encore le droit de vote. La première priorité est de mettre fin aux grèves, c’est l’objectif poursuivi pendant l’été 1936. Le 5 juin 1936, les accords de Matignon sont signés entre les syndicats et les organisations patronales, prévoyant des augmentations des salaires de 12 % en moyenne, la signature de conventions collectives ou l’élection de délégués du personnel dans les entreprises. Ces accords sont complétés en juillet 1936 par deux lois votées au Parlement : les deux semaines de congés payés et la semaine de 40 heures sans diminution de salaire. Ces deux mesures sont liées au Front Populaire, mais elles ne faisaient pas partie du programme électoral.


Puis, conformément au serment du 14 juillet 1935, le gouvernement décide de dissoudre les ligues d’extrême droite (notamment les Croix de feu, la Solidarité française ou les Jeunesses Patriotes). Les ligues dissoutes se réorganisent comme des partis politiques.


Le gouvernement mène également des réformes structurelles. La loi du 24 juillet 1936 adresse la modification de statut de la Banque de France, et en bouleverse son fonctionnement, par exemple en donnant le droit de vote aux 40 000 actionnaires (et plus seulement aux 200 plus importants). En août 1936, l’Office national interprofessionnel du blé (ONIB) est créé, après une longue procédure au Parlement : cet office doit lutter contre la spéculation, il est chargé de fixer chaque année le prix minimum du grain, dont il organise le commerce (exportation/importation). Le gouvernement mène ensuite des réformes dans l’éducation et la culture : obligation scolaire portée à 14 ans, enseignement du sport à l’école et encouragement aux pionniers du théâtre populaire. Le gouvernement Blum tente enfin de mener une politique plus libérale dans l’empire colonial, tentative symbolisée par le projet Blum-Violette qui propose l’octroi de la citoyenneté française à un certain nombre de musulmans algériens (anciens officiers et sous-officiers, décorés de guerre, détenteur de diplômes universitaires et représentants officiels du commerce et de l’agriculture), mais ces intentions ne se concrétisent pas en raison de résistances considérables en provenance des colons d’Algérie. 


Enfin, le gouvernement se retrouve contraint sur le plan économique et monétaire, l’arrivée du Front Populaire au pouvoir a notamment engendré une fuite des capitaux. Sur le plan monétaire, après plusieurs dévaluations, la livre et le dollar ont une compétitivité plus élevée que le franc. Léon Blum se résout à la dévaluation du franc, dont il tire un parti diplomatique. Le 25 septembre 1936, une déclaration économique tripartite signée par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis évoque une politique coordonnée des trois pays, mettant fin à la guerre monétaire déclenchée en 1933 par la sortie du dollar du bloc-or. 


Le lancement du réarmement


Le 7 mars 1936, Hitler fait réoccuper la Rhénanie par la Wehrmacht, en réaction à la ratification par le Parlement français le 27 février 1936 du pacte d'assistance franco-soviétique. Lors de sa prise de fonction en juin 1936, Léon Blum demande alors à l’état-major de lui préparer une étude sur la politique militaire et de chiffrer les besoins en matière d’armements. Le général Gamelin chiffre les besoins à 9 milliards de francs, reprenant le résultat d’une étude de 1935, menée lors du rétablissement de la conscription en Allemagne. Le ministre de la Guerre, Edouard Daladier, juge ce montant insuffisant et propose 14 milliards sur quatre ans. Cette proposition est adoptée le 7 septembre 1936.


Le réarmement passe aussi par les nationalisations. L’industrie française de l’armement est essentiellement constituée de petites entreprises et d’ateliers familiaux, ne pouvant pas produire en masse. La loi du 6 août 1936 nationalise l’industrie de l’armement autour de grands groupes, et l’État investit dans la modernisation pour garantir une production de masse et standardisée. Les nationalisations concernent peu d’entreprises par rapport aux 4000 recensées. Dès 1938, les nationalisations produisent l’effet escompté avec une hausse de la production, mais les tensions persistent avec les secteurs demeurés entre les mains d’acteurs privés. C'est le cas pour Louis Renault qui rechigne à convertir son appareil productif. C'est Raoul Dautry, ministre de l’armement, qui contraint  l’entreprise à se mobiliser pour les besoins de la défense nationale. 


La politique de réarmement est financée par un grand emprunt dit « de la Défense nationale ». Le gouvernement a affronté une fuite des capitaux, Léon Blum exprime le souhait que ces capitaux rapatriés s’investissent dans l’emprunt national. L’emprunt de la Défense nationale est voté à une large majorité à la Chambre des députés (une majorité comprenant les communistes) et à la quasi-unanimité au Sénat. L’emprunt dépasse toutes les espérances : la souscription est ouverte le 12 mars 1937, la première tranche de 5 milliards est couverte puis est clôturée la journée de son ouverture, la CGT ayant notamment souscrit un montant de 250 000 francs. Le second jour de la souscription, le 16 mars 1937, d’un montant de 3 milliards, est aussi couverte dans la journée.


Les difficultés et la fin d’une coalition divisée


Dès l’été 1936, les difficultés s’accumulent pour le gouvernement. Le 17 juillet 1936, la guerre civile espagnole éclate après une insurrection militaire contre le gouvernement du Frente Popular en place depuis les élections de février 1936, le camp des nationalistes soutenant le coup d’État se retrouve face au camp des républicains soutenant la République. Le 20 juillet 1936, le gouvernement français reçoit une demande d’assistance des républicains espagnols. Léon Blum répond positivement mais doit reculer devant l’opposition des radicaux, de la droite et du président Lebrun, le Quai d’Orsay craint même une contamination de la guerre civile. Le gouvernement du Front Populaire fait le choix de la non-intervention, et propose un pacte signé par les pays européens. Mais dans les faits, ce pacte est violé par le Troisième Reich et l’Italie fasciste, qui apportent un soutien matériel à l’Espagne nationaliste.


Les difficultés économiques et sociales suivent. Les réformes ont un effet économique pervers, entraînant stagnation de la production, inflation et fuite des capitaux. La dévaluation de septembre 1936 a touché les rentiers et les classes moyennes. En février 1937, Blum annonce une pause dans la politique de réformes sociales, c’est un pas décisif pour tenter de regagner la confiance des milieux d’affaires. Le mécontentement touche aussi les classes moyennes, touchées par la crise économique et gagnées par l’inquiétude. Le Parti radical ne peut pas ignorer ces doléances venant de sa base, Daladier tente d’infléchir la politique du gouvernement dans un sens favorable aux classes moyennes. Mais le Parti radical compte plusieurs opposants au Front Populaire, notamment au Sénat. En juin 1937, Blum demande les pleins pouvoirs financiers, qui lui sont refusés par le Sénat. Le 22 juin 1937, Blum remet sa démission.


C’est le radical Camille Chautemps qui est nommé président du conseil, il est considéré comme capable de trouver un compromis entre les forces de la majorité. Mais le gouvernement Chautemps est caractérisé par l’immobilisme : il veut infléchir les politiques de 1936 sans oser rompre ouvertement avec la majorité de 1936. Les conflits sociaux lui aliènent les communistes et les socialistes. Le 9 mars 1938, Chautemps démissionne devant le refus des socialistes de lui accorder les pleins pouvoirs financiers, laissant la France sans gouvernement pendant l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. Le président de la république, Albert Lebrun, propose à Blum de former le nouveau gouvernement. Léon Blum tente alors de mettre en place un gouvernement d’union nationale, qui irait des communistes au centre droit. Mais cette perspective est largement refusée par la droite, et Blum démissionne après le refus au Sénat des pleins pouvoirs financiers qui devaient lui permettre de mener une politique de relance keynésienne. Edouard Daladier devient président du Conseil, il fait entrer des membres de droite dans son gouvernement tout en jouant l’Union nationale et le maintien du Front Populaire. Mais la politique de Daladier mène à la rupture : le gouvernement assouplit les 40 heures dans les usines d’armements, Daladier donne raison aux thèses de la droite et de Paul Reynaud avec la formule « Il faut remettre la France au travail ». Les accords de Munich, signés le 30 septembre 1938 entre l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie rendent la rupture irréversible : les communistes et une partie de la SFIO critiquent sévèrement l’abandon de la Tchécoslovaquie, alors qu'en parallèle, Daladier et Reynaud prennent des mesures aménageant la semaine de 40 heures et augmentant les impôts. L’objectif de cette politique de rigueur est de préparer la guerre jugée désormais inévitable. Les communistes, les socialistes et les syndicats se mobilisent contre ces mesures par une grève le 30 novembre 1938. Daladier accepte l’épreuve de force, avec le bénéfice de l’appui des modérés et du patronat, et prend des mesures contres les grévistes (réquisition et menace de sanction puis révocation et licenciement). La gauche sort perdante de la confrontation, et est rejetée dans l’opposition. Daladier ressort en position de force. Le Front Populaire, après plusieurs mois d’agonie, n’existe plus.


Une opposition radicale et violente de la droite


Une opposition dans l’anticommunisme

 Affiche anticommuniste dépeignant les Soviets manipulant depuis Moscou les dirigeants de la coalition de partis du Front populaire français : Édouard Herriot (parti radical), Léon Blum (SFIO) et Marcel Cachin (PCF). ©  Auteur : Centre de propagande des Républicains nationaux / Wikimedia Commons
 Affiche anticommuniste dépeignant les Soviets manipulant depuis Moscou les dirigeants de la coalition de partis du Front populaire français : Édouard Herriot (parti radical), Léon Blum (SFIO) et Marcel Cachin (PCF). © Auteur : Centre de propagande des Républicains nationaux / Wikimedia Commons

Le Front Populaire suscite la crainte en raison du soutien des communistes au gouvernement. Dans l’entre-deux tour des élections législatives, Pétain donne un entretien au quotidien Le Journal, dans lequel il déclare : « Nous avons fait entrer le communisme dans le cercle des doctrines avouables. Nous aurons vraisemblablement l’occasion de le regretter ». La victoire du Front Populaire vient créer une psychose dans l’armée. Même si les militaires sont tenus à un strict devoir de réserve et n’ont pas le droit de vote, les officiers des états-majors généraux sont d'un milieu conservateur. Face aux occupations d’usine, les officiers craignent que la situation ne prenne un tour révolutionnaire, certains craignent même que les communistes ne s'infiltrent dans l’armée pour ensuite prendre le pouvoir par la subversion et la violence. Cette psychose fut calmée par les premiers contacts avec Léon Blum et par la politique équilibrée menée par Daladier au ministère.


Le 6 juin 1936, lors de la présentation du gouvernement à la Chambre des députés, plusieurs députés de droite interpellent Léon Blum pour condamner un gouvernement soutenu par les communistes et portant les germes du désordre et de la guerre civile, dont les occupations d’usines sont l’illustration. Cet anticommunisme peut s’appuyer sur un élément gênant pour le Front Populaire : les socialistes et les radicaux se sont alliés aux communistes au moment où l’URSS révélait son visage totalitaire par les Grandes Purges. La droite critique les projets du Front Populaire en les qualifiant « d'étatistes » ou même « marxistes »; notamment la création de l’Office du blé, où elle accuse de vouloir transformer le paysan en un fonctionnaire qui verrait ses actes contrôlés par la bureaucratie. Les classes moyennes sont un public réceptif à l’anticommunisme, et des évènements entretiennent sa défiance : la continuité de l’agitation sociale malgré les accords de Matignon, ou la crainte d’une contagion de la guerre civile espagnole sur le territoire national.


La presse joue également un rôle dans cette crainte du communisme et d’un complot. Le 16 mars 1937, la gauche organise une contre-manifestation pour protester contre une réunion du Parti Social Français à Clichy. La manifestation se termine mal : la police ouvre le feu sur le cortège, on déplore 6 morts et 300 blessés du côté des manifestants, un mort du côté de la police. La presse évoque une nuit d’émeute révolutionnaire et accuse les communistes d’avoir agressé les forces de l’ordre.


Une volonté d’union de la droite


Face au Front Populaire, les diverses composantes de la droite française tentent de s’unir. Dans un entretien donné dans l’entre-deux-tours des élections législatives de 1936, face à la coalition du Rassemblement Populaire, Pétain donne son mot d’ordre : « Rassemblement National ». Après le 6 février 1934, les ligues d’extrême-droite anti parlementaires avaient tenté de se réunir dans un « Front national ». La dissolution des ligues par le Front Populaire amène à une transformation : après la dissolution des Croix-de-feu, le colonel de La Rocque crée le Parti Social français (PSF), qui reprend le légalisme du colonel et doit arriver au pouvoir par le jeu des institutions. Mais cette conversion ne convainc pas la gauche, qui continue à voir La Rocque comme le principal danger fasciste. Le PSF a l’ambition d’être un parti de masse, fédérateur de la droite sur une ligne nationaliste et sur un registre social.


En 1936, l’ancien communiste Jacques Doriot fonde le Parti Populaire français (PPF), avec l’objectif de battre son ancien parti sur son terrain. Le parti glisse vite vers la droite, en raison de son financement par des membres du monde des affaires et de l'anticommunisme de ses militants, et de l’adoption d’un programme traditionaliste. En 1937, Doriot tente de constituer un « Front de la liberté » pour rapprocher les partis de droite. Il obtient le ralliement des petits partis nés après la dissolution des ligues et celui de la Fédération républicaine, qui espère surtout de ce Front la victoire aux prochaines élections.


Mais d’autres partis de centre-droit refusent le Front de la liberté, c’est le cas de l’Alliance démocratique, qui rejette ce regroupement avec l’extrême-droite, et préfère s’orienter vers le centre et le Parti radical. Le Parti Social Français refuse également : le colonel de la Rocque y voit une tentative de disloquer son parti, dont il veut conserver l’indépendance et le démarquer de la droite parlementaire et de l’extrême droite.


Calomnie, terrorisme et antisémitisme


L’arrivée au pouvoir du Front Populaire déchaîne la presse d’extrême droite. La calomnie fait rage, le journal Gringoire accusant le ministre de l’Intérieur, Roger Salengro, de désertion devant l’ennemi, alors qu’il avait été fait prisonnier en allant chercher le corps d’un camarade tué au combat. Malgré le soutien de Léon Blum, et les conclusions d’une commission présidée par le général Gamelin, qui innocente Salengro, Gringoire poursuit sa campagne de diffamation, reprise par le reste de la presse. Salengro, traumatisé par cette campagne, se suicide le 17 novembre 1936. Il laisse cette phrase en épitaphe de ses lettres testamentaires : « S'ils n'ont pas réussi à me déshonorer, du moins porteront-ils la responsabilité de ma mort. Je ne suis ni un déserteur, ni un traître ». En décembre 1936, le Parlement vote une loi sur la presse réprimant la calomnie.


L’extrême droite répond au Front Populaire par le terrorisme. En 1937, un ancien adhérent de l’Action française, Eugène Deloncle, fonde le Comité secret d’action révolutionnaire, aussi connu comme la « Cagoule ». Deloncle veut jouer la déstabilisation du régime pour provoquer une intervention militaire et porter au pouvoir un des maréchaux de la Première guerre mondiale. La Cagoule exécute son plan en 1937 en menant plusieurs attentats, notamment en faisant exploser des bombes aux sièges d’organisations patronales pour faire croire à un complot communiste. Mais en novembre 1937, le complot est découvert et ses organisateurs sont incarcérés. 


Enfin, la période du Front Populaire voit une explosion de l’antisémitisme, visant surtout Léon Blum. Avant même d’être président du Conseil, le leader de la SFIO était déjà la cible d’une rhétorique violente de l’extrême droite, notamment des articles de Charles Maurras dans le journal L’Action française, pour qui Blum est la cible parfaite en tant que socialiste et juif. Le 13 février 1936, lors des obsèques de l’historien Jacques Bainville, membre de l’Action française, la voiture de Léon Blum se retrouve prise dans le cortège. Les membres de l’Action française s’en rendent compte et tentent de s’introduire dans la voiture pour lyncher Blum, qui est grièvement blessé avant que la police, prévenue par des ouvriers, n’intervienne. Cette agression provoque une indignation générale et entraîne la dissolution de trois organisations composant l’Action française. Mais Blum est également ciblé comme chef du gouvernement, lorsqu’il se présente à la Chambre des députés le 6 juin 1936. Un député du centre droit, Xavier Vallat, élu depuis une quinzaine d’années et personnalité importante de la vie politique, porte la contestation du gouvernement sur le terrain de l’antisémitisme : « Votre arrivée au pouvoir, Monsieur le président du conseil, est incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif ». Immédiatement en séance, Vallat reçoit le soutien de ses collègues de droite et d’extrême-droite, et devient la figure de proue des antisémites de France. Quand Blum est chargé de former le gouvernement d’Union nationale en mars 1938, Vallat récidive : « Il me paraîtrait inconvenant que l’union des Français se fît autour de l’homme qui représente si intensément le peuple que la malédiction divine a condamné à ne plus avoir de patrie ». Ces interventions vaudront à Xavier Vallat de devenir commissaire général aux questions juives sous le régime de Vichy, où il participera à élaborer la législation antisémite. Sous le régime de Vichy, l’extrême-droite parvenue au pouvoir devrait pouvoir donner libre cours à sa haine de Léon Blum et du Front Populaire, tout d’abord au procès de Riom puis en acceptant tacitement la demande formulée par l’Allemagne de déporter Blum, qui sera interné au camp de Buchenwald.


Conclusion


Lors de la campagne électorale en 1936, Édouard Daladier avait exprimé une crainte : que la victoire du Rassemblement Populaire ne débouche plus tard sur une contre-révolution. En 1940, cette contre-révolution prend forme avec l’installation de l’État français après la défaite. Pétain dénonce les politiques du Front Populaire, qui est accusé de ne pas avoir préparé la France à la guerre, une dénonciation incarnée dans la formule de « l’esprit de jouissance » qui l’aurait emporté sur « l’esprit de sacrifice ». Le procès de Riom, tenu en 1942, est un procès du Front Populaire en traduisant Léon Blum et Édouard Daladier devant une Cour suprême de Justice. Mais le régime de Vichy s’inscrit dans une réaction plus large : là où le Front Populaire voulait défendre la République et ses principes devant la progression du fascisme en Europe, le régime de Vichy se caractérise par son antirépublicanisme, les premières mesures du régime étant une rupture totale avec la République et les principes républicains. 

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