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Le massacre de Nankin

Noémie Poyet

Mémorial du massacre de Nankin ·  © x li / 入口 (Wikimédia)
Mémorial du massacre de Nankin ·  © x li / 入口 (Wikimédia)

Le massacre de Nankin restera à jamais gravé comme l’un des épisodes les plus choquants de l’histoire de la Chine. Longtemps peu médiatisée, l’histoire refait doucement surface. Dès 1939, la Seconde Guerre mondiale barre la route à la paix à travers le globe. Le 13 décembre 1937, l’Empire du Japon met à feu et à sang la ville de Nankin, capitale de la République de Chine.



Contexte historique


L’impérialisme japonais


Dans les années 1870, le Japon entreprend un vaste processus de modernisation qui le métamorphose rapidement en une puissance majeure, notamment avec l’émancipation de l’ère Meiji et le développement d’une marine marchande prometteuse.


Dès 1879, l'Empire du Japon annexe officiellement l'île d'Okinawa, marquant le début de son expansion territoriale. Dans cette démarche, il poursuit avec la prise de Taïwan en 1895, après la victoire japonaise lors de la première guerre sino-japonaise (1894-1895). En 1905, le Japon remporte la guerre russo-japonaise et surprend le monde. S’ensuit l'annexion de la Corée en 1910 et, en 1931, la transformation de la Mandchourie en un état fantoche. La succession de ces victoires posa avec succès les jalons de l'impérialisme nippon.


En parallèle, l’idéologie militariste et impérialiste s’établit, accompagnée d’une propagande toujours plus virulente. À l'époque des colonies occidentales en Asie, le Japon entretient une politique hostile envers l'Europe et ses alliés. En d’autres termes, il considère qu'il est urgent de protéger ses frontières et de rivaliser économiquement et politiquement avec les Occidentaux. Porté par l’idée d’une « mission divine », il cherche à libérer les peuples d'Asie de la domination occidentale et à instaurer un ordre sous sa propre domination culturelle et idéologique appelé la « Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale ».


En réalité, il est surtout question d’assimilation: la nationalité japonaise est attribuée et le japonais largement enseigné. Dans cet objectif, il accroît sérieusement son armée et son industrie.


Par ailleurs, la Grande dépression de 1929 n’a pas épargné le Japon. En proie à la récession et à la colère du peuple, le militarisme et la colonisation sont perçus comme des leviers importants à la résolution des problèmes économiques et sociaux. Ainsi, l’exploitation des ressources naturelles, des matières premières en Mandchourie ainsi que l’asservissement des paysans coréens s’avèrent fructueux. Le 25 novembre 1936, la signature du pacte anti-Komintern entre l’Allemagne nazie et l’empire du Japon marque un tournant. Rejoints par le royaume d’Italie un an plus tard, cette alliance illustre une convergence idéologique du fascisme et un Japon qui se sent marginalisé par les grandes puissances occidentales.


Instabilités en Chine


L'instabilité politique et la récession économique sont dues à divers facteurs. Les difficultés débutent dès la première guerre de l’opium en 1839, opposant les puissances occidentales et l’empire des Qing.


Affaiblie et humiliée, la Chine est obligée de signer des accords inégaux avec l’Occident. Dépossédé de Hong Kong, forcé d’ouvrir ses ports aux étrangers et d'accorder des privilèges commerciaux, l’empire perd une partie de sa souveraineté et de sa dignité.


À la fin du XIXème siècle, les mauvaises récoltes, les taxes écrasantes et la haine croissante contre les étrangers alimentent un profond mécontentement parmi les paysans. Ce climat tumultueux engendre la révolte des Boxers (1899-1901), un soulèvement violemment réprimé par l’Empire et par les forces étrangères. Cet épisode est qualifié de « siècle d'humiliation » pour la Chine. En 1911, la révolution Xinhai met un terme à la dynastie Qing, vieille de 267 ans, mais la transition est désordonnée. La dictature de Yuan Shikai, puis sa mort en 1916, provoquent l’ère des seigneurs de la guerre, une période de fragmentation territoriale et d’affrontement entre chefs militaires.


Ce tumulte cesse avec l’expédition du Nord (1926-1928), menée par Tchang Kaï-chek et le Kuomintang, qui unifie partiellement le pays.



L’enfer à Nankin


La chute de Nankin


Le 7 juillet 1937 près de Pékin, une escarmouche éclate entre des soldats chinois et japonais. Le 9 juillet, l’armée de l’Empereur débarque au port de Shanghai et s'engage dans une « guerre sainte ». La différence de poids est sans appel. Face à une armée moins nombreuse mais modernisée jusqu’aux dents, les forces nationales se replient au bout de 3 mois de lutte acharnée. Le 13 décembre 1937, le général Iwane Matsui et ses hommes lancent l’assaut à Nankin.


Sous l’ordre de Tchang Kaï-chek, le général Tang ordonne le repli des troupes chinoises. Cependant, dans la panique, l’ordre n’est pas parvenu aux oreilles de tous les soldats. Tandis que certains tentent de repousser l’ennemi, d'autres s'enfuient tant qu'il en est encore possible. Le général Tang et les autres officiers parviennent à quitter les lieux rapidement, abandonnant leurs subordonnés et des milliers de civils.


Les soldats et les familles terrifiés se ruent à la sortie de la ville. Beaucoup tentent la traversée du fleuve Yangtze à bord des rares bateaux disponibles ou trouvent refuge au sein des concessions internationales de la ville. D’autres préfèrent se rendre. On leur promet un bon traitement, de l’eau et de la nourriture : ils n’en verront jamais la couleur.


Les exactions des Japonais 


En s’attaquant à la Chine, l’empereur est conscient d’une chose : faire la guerre exige des dépenses. Alors, plus vite l’ennemi capitule, moins l’économie en sera impactée. Dans ce cas, ce dernier donne un blanc-seing aux troupes et ferme les yeux sur le déchaînement de violence inouïe qui se produit. Les soldats japonais se changent en véritable machine à tuer : ils s’octroient le droit de vie ou de mort, mourir sur le champ de bataille est glorifié et la supériorité du Japon est intégrée au plus profond de leur conscience. 


Durant 6 semaines, les pillages, les exécutions de masse, les viols et les tortures sont légion. Les ordres des supérieurs atteignent un degré de sadisme difficilement imaginable. Par exemple, il est d’usage de lier des dizaines de personnes, de les asperger d’essence, de les enflammer et de les laisser agoniser. Aussi, plusieurs groupes sont formés et contraints à creuser une fosse en guise de tombe où ils y seront enterrés vivants.


Ces exécutions massives visaient majoritairement des prisonniers, des hommes susceptibles d’être soldat mais rien n'épargnait les femmes et les enfants. La ville tout entière n’est devenue qu’un terrain de jeu sanglant. Parfois à moitié ensevelies, certaines victimes seront écrasées par des tanks, sous les rires moqueurs des Japonais. Fréquemment, on recommande aux soldats de s’exercer au maniement des armes : ainsi, machinalement, les bourreaux s'entraînent à transpercer les corps à l’aide de leur baïonnette. Dans les rues, les habitants sont traqués et tués tel du gibier.


Yi Cuilian a 14 ans lorsqu'elle se trouve à Nankin face à des Japonais. Dans un précieux témoignage, cette dernière décrit avec précisions le massacre :


« Je me souviens qu'il y avait un étang devant le petit bâtiment où nous vivions. Les Japonais ont tué les personnes capturées le long de la rive et les ont poussées dans l'étang. L'étang était plein de cadavres, et l'eau était entièrement rouge de sang. » - Yi Cuilian

Pendant les missions menées par des soldats japonais, des actes de violence sexuelle ont été perpétrés contre des femmes, des enfants et des personnes âgées, avec des victimes parfois âgées de moins de 10 ans ou de plus de 60 ans.


Des viols collectifs avaient lieu en pleine rue, impliquant souvent plusieurs agresseurs. Ces violences extrêmes ont entraîné la mort de nombreuses femmes à cause de brutalités ou de mutilations génitales.


Des clichés insoutenables ont été partagés: on observe des femmes dénudées gisant sur le sol, des bâtons et autres objets insérés à l’intérieur de leur appareil génital. Les femmes enceintes n’étaient pas épargnées : certaines étaient éventrées et leurs fœtus tués. Ces actes étaient souvent accompagnés de meurtres de membres de la famille, et toute opposition se soldait par une exécution immédiate.


Le supplice continuait pour certaines femmes. Elles étaient forcées à devenir des esclaves sexuelles. Soumise à des viols répétés, la majorité mourrait des suites de ces abus.


Plus rarement, des hommes étaient aussi victimes de viols ou forcés de perpétrer des incestes ou autres crimes sexuels.


Yi Cuilan et sa famille se sont réfugiés au sein de la zone de sécurité internationale. Elle témoigne ceci :

 

« J'ai vu de mes propres yeux les diables japonais violer les femmes dans l'asile de réfugiés et arrêter une douzaine de jeunes filles. » - Yi Cuilan

La cruauté et la créativité humaine au service de la destruction n’ont aucune limite. À l’instar de la barbarie subie par les Juifs, des Chinois ont été transformés en cobayes humains. L’ unité 731 disposait de 3 centres en Chine, dont un à Nankin.


Leur mission ? Le développement d’armes biologiques notamment la bombe au cyanure, aux puces pesteuses et autres bactéries tels que le choléra ou le tétanos. 


Au sein de ces laboratoires, des scientifiques se moquent des lois de l’éthique. Ces derniers se livrent à des expériences abominables sur le corps de prisonniers et de civils. Les scientifiques ne se limitaient pas à la création d'armes.


L’autre utilité du centre est de tester la résistance du corps humain aux conditions extrêmes, aux maladies et aux armes. Les chercheurs pratiquent des vivisections ou encore des inoculations. Ils observent l’évolution des nécroses, l'effet de poison, de gaz et autres maladies à la douleur insoutenable. À l’intérieur de ce centre, les cobayes n’ont plus rien d’humain. 



Quel bilan ?


La seconde guerre sino-japonaise et la Seconde Guerre mondiale se sont soldées avec la capitulation du Japon le 2 septembre 1945, précipité par les bombardements de Nagasaki et Hiroshima effectués par les États-Unis.


À l’image du procès de Nuremberg, le procès de Tokyo, débuté le 19 décembre 1946, a été instauré pour juger et punir les criminels de guerre japonais. Ce tribunal, composé de 11 juges représentant les pays alliés, condamne le Japon à verser des indemnités et à dissoudre son armée. Des commandants de l’armée tels que le général Matsui ont également été condamnés à mort. Les Japonais se retirent et laissent derrière eux un pays meurtri et atterré.


Comment se reconstruire après un tel supplice ? Les rescapés ont perdu leur logement, leurs proches et devront vivre avec des traumatismes incurables.


D’autre part, le calvaire des femmes violées et enceintes de Japonais se prolonge. Elles ne trouvent d’autres moyens que de tuer les nouveau-nés. Il leur est impossible d’élever l’enfant de leur agresseur. Certaines iront jusqu’au suicide.


Cependant, le négationnisme persiste au Japon. En dépit des nombreux témoignages écrits par des soldats japonais, des rescapés et aux clichés réalisés par des étrangers présents sur place, les nationalistes japonais ne cessent de nier les faits.


En effet, reconnaître le massacre serait perçu comme une défaite face à la Chine, fragilisant l’image nationale et induisant des réparations financières. Certains manuels scolaires japonais ont été modifiés de manière édulcorée pour minimiser les faits ou réduire le nombre de victimes, ce qui suscite d'énormes controverses.


De son côté, la Chine déclare 300 000 victimes dont elle dédiera un mémorial le 15 août 1985.


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