Les principaux dirigeants jugés lors du procès. Au premier rang de gauche à droite : Göring, Hess, Ribbentrop, Keitel. Au second rang : Dönitz, Raeder, Schirach, Sauckel · © Domaine Public
Dès 1942, les Alliés de la Seconde Guerre mondiale annoncent leur intention de juger les crimes nazis, posant ainsi les bases du futur procès de Nuremberg. Face aux désaccords sur la méthode à adopter, certains privilégient l’exécution sommaire, tandis que d’autres optent pour un procès public. Un premier accord est trouvé dans la déclaration de Moscou en 1943, suivi par l’Accord de Londres d’août 1945, qui établit le tribunal militaire international. Ce procès inédit consacre les notions de crimes contre l’humanité et de responsabilité individuelle, inaugurant une nouvelle ère de justice internationale, encore visible aujourd’hui.
La volonté de punir face à l’horreur
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la découverte des atrocités telles que les exécutions de masses et les camps de concentration rendent nécessaires le jugement des criminels de guerre. C’est l’idée du président américain, Franklin Roosevelt, qui sera retenu pour les juger : des procès publics fondés sur des principes de justice et de droit.
Le choix de Nuremberg comme tribunal pour juger ces crimes n’est pas anodin.
En effet, ce lieu revêt une forte symbolique en Allemagne, étant l’un des hauts lieux de rassemblement du régime nazi. Il a notamment été le théâtre de la promulgation des lois de Nuremberg en 1935, lesquelles marquent l’avènement et la formalisation de l’idéologie nazie et antisémite. De plus, le bon état du palais de justice, malgré les divers bombardements environnants, a conforté les dirigeants dans leur volonté de désigner ce lieu.
La création de ce tribunal a été rendue possible grâce aux accords de Londres de 1945. Celui-ci avait 3 compétences principales : juger les crimes contre la paix, les crimes de guerre. Et, pour la première fois, les crimes contre l’humanité, englobant les persécutions, exterminations et déportations des populations civiles.
Photographie du Palais de justice de Nuremberg · © Domaine public
Un jugement historique : Nuremberg ou le procès de la mémoire
Le procès s’ouvre le 20 novembre 1945 avec les 24 principaux dirigeants nazis et se déroule jusqu’au 1er octobre 1946. C’est l’un des procès les plus longs de l’histoire, avec près de 218 jours d’audience et 715 heures de débat. Constitué de juges britanniques, américains, français et soviétiques, le tribunal est créé pour punir ceux qui ont transgressé les règles du droit à l’international. Dans un contexte de génocide ayant causé environ 5 millions de morts.
Ce procès est fondateur du droit international. La nouvelle notion de crime contre l’humanité redéfinit les contours de la justice pénale internationale. Ce procès est novateur en ce qui concerne la responsabilité individuelle dans ce type de crime contre l’humanité. Rejetant l’argument selon lequel la soumission aux ordres d’un supérieur pourrait exonérer les persécuteurs de leurs actes.
Au-delà de sa fonction punitive, le procès a également une vocation instructive. Il constitue l’un dès premiers procès filmés, permettant de transmettre les horreurs des crimes aux générations futures. Cette initiative de filmer le procès vient de la volonté d’instruire pour ne pas reproduire. Comme en témoigne la citation du procureur Robert H. Jackson :
« Les méfaits que nous cherchons à condamner et à punir ont été si prémédités, si haineux et si dévastateurs que la civilisation ne peut en ignorer la commission, car elle ne pourrait survivre à leur répétition ». - Robert H. Jackson
Ces quelques mots montrent l’importance pédagogique de ce procès. Les sanctions étant sévères, les témoignages et descriptions des atrocités commises servent d’avertissement contre la répétition de tels actes.
Le film tient une place importante dans ce procès, au-delà du fait que le procès en lui-même a été filmé par John Ford, réalisateur américain. Des films tournés dans les camps de concentration sont projetés lors du procès, illustrant la réalité des crimes et servant de preuve contre ceux qui justifient leurs actions.
Le tribunal de Nuremberg compte près de 400 journalistes du monde entier, témoignant de l’importance et de l’impact de cet événement.
L’émergence d’un droit international : l’avènement d’un droit nouveau
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une question centrale se pose : comment juger ces crimes et avec quel droit ?
À l’époque, aucune base de droit international d’une telle envergure n’existe. L’idée à travers ce procès était de juger ces dirigeants à travers un cadre légal, sans idée de vengeance de la part des États.
Les chefs d’accusation retenus sont au nombre de quatre : le complot, le crime contre la paix, le crime de guerre et enfin une nouvelle notion née à cette occasion, le crime contre l’humanité.
Véritable symbole du droit international, le tribunal de Nuremberg établit des notions fondamentales qui perdurent jusqu’au XXIe siècle. Il marque la naissance de la justice pénale internationale.
Le crime contre l’humanité devient un pilier du droit international. Sa définition continue d’évoluer, intégrant des violations délibérées et ignominieuses des droits d’individus ou de groupes, inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux.
L’empreinte laissée par le tribunal de Nuremberg est toujours perceptible aujourd’hui. Il a notamment inspiré la Déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948, qui pose des principes comme la reconnaissance de la dignité humaine, essentielle pour la liberté, la justice et la paix. Le préambule de cette déclaration souligne :
« La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine [...] est le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».
De plus, la condamnation de la persécution et la discrimination, ainsi que la responsabilité individuelle sont au coeur du procès. Ces idées sont également reprises dans la Charte des Nations unies.
Un verdict historique, la justice au cœur de l’horreur
Au cours du procès, les nazis tentent de rationaliser leurs actions en utilisant des formulations telles que celles d’Hermann Göring, qui déclare :
« La guerre est le moyen le plus naturel d’atteindre la paix ». - Hermann Göring
Cette citation illustre l’état d’esprit des accusés, marqués par une arrogance déconcertante et une déconnexion fulgurante de la réalité.
Malgré la présentation de preuves accablantes, y compris des films réalisés par les Alliés lors de la découverte de leurs crimes, les 24 hauts dirigeants poursuivis semblent éloignés de la gravité de leurs actes et se déclarent tous non coupables.
Il convient également de noter l’absence de certains principaux responsables des crimes. Sur les 24 individus initialement poursuivis, seuls 21 se présentent effectivement devant le tribunal.
Le principal acteur, Adolf Hitler, absent, a mis fin à ses jours dans son bunker quelques mois plus tôt. Un autre accusé, Robert Ley, s’est suicidé avant de pouvoir être jugé.
Ce procès se distingue également par la mise en cause de certaines institutions. La Schutzstaffel (SS), l’un des bras armés du parti nazi, ainsi que la Gestapo, la police politique du régime, sont également tenues pour responsables.
Le 1er octobre 1946, à 13h50, les condamnations tombent, celles-ci sont particulièrement sévères, en rapport avec la gravité des crimes commis. Parmi les 21 dirigeants ayant comparu, douze sont condamnés à mort, sept à des peines de prison, dont 3 à perpétuité. Tandis que trois d’entre eux sont acquittés.
Les tribunaux Ad Hoc, la continuité du tribunal de Nuremberg
De plus en plus de crimes contre l’humanité sont aujourd’hui reconnus, comprenant des actes tels que le meurtre, l’extermination, l’esclavage, la déportation ou la torture. Ces notions sont toujours d’actualité, illustrées par des tragédies contemporaines, à l’instar du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 ou les massacres en Yougoslavie en 1992. Ces crimes ont été jugés à la lumière des précédents établis par Nuremberg.
Le tribunal de Nuremberg, bien qu’il ait été dissous après ce procès, a laissé une empreinte indélébile. De nouvelles juridictions, inspirées de son fonctionnement, ont vu le jour tels que les juridictions Ad Hoc. Celles-ci ont été créées spécifiquement pour juger les crimes d’une particulière gravité, notamment le tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie en 1993, chargé de juger les crimes commis durant les guerres des Balkans, ou le tribunal pénal international pour le Rwanda en 1994.
L’évolution du droit pénal international culmine en 2002 avec la création de la Cour pénale internationale, suite au Traité de Rome de 1998. Héritière du tribunal de Nuremberg et des différents tribunaux Ad Hoc, cette juridiction a pour mission de juger les génocides, les crimes de guerre et de punir les crimes contre l’humanité.
La création d’une juridiction permanente était une nécessité pour promouvoir une justice internationale en plein développement, et ces différentes générations de droit pénal international n’auraient pas été possibles sans l’initiative première du tribunal de Nuremberg, qui a été l’acte fondateur de la justice pénale internationale.