Le procès de Klaus Barbie
- Zoé Boursier
- 10 août
- 7 min de lecture
L’instruction du procès Barbie s’est déroulée de février 1983 à octobre 1985. Durant ces nombreux mois, la recherche de témoins et la recherche de preuves contre Klaus Barbie a été très importante. Il a fallu notamment trouver d'autres faits d’accusation que “le dossier Jean Moulin” ou les crimes de guerre qu’il avait commis et pour lesquels il avait déjà été jugé dans les années 1950.

Photographie de Klaus Barbie
©Auteur inconnu/ Wikimedia commons
Klaus Barbie aussi appelé le Boucher de Lyon est la première personne en France à être condamnée pour crime contre l’humanité.
Le procès de Klaus Barbie a un grand impact médiatique avec 113 associations qui se portent parties civiles et 39 avocats pour la défense. L’accusé est quant à lui représenté par Jacques Vergès (rejoint pour la dernière audience par Jean-Martin Mbemba et Nabil Bouaita). C’est aussi le premier procès enregistré avec pas moins de 4 caméras pour filmer l'entièreté de l'audience.
La mise en place d’un procès si attendu par la France
Depuis le 29 juillet 1881, l’article 38 ter de la loi sur la liberté de la presse interdit formellement l’usage de caméra ou d’appareil permettant l’enregistrement d’une audience. Cependant, vu la gravité et la médiatisation de l’affaire, Robert Badinter, l’ancien garde des Sceaux, émet une exception à l’article 38.
Il déclare «Vu l’atrocité des faits et le nombre exceptionnel de victimes, le procès s’annonce historique et médiatique. Ne conserver aucune trace de ce procès pour la mémoire paraît inconcevable. ». Depuis, les procès classés dans la catégorie “historique” peuvent être filmés et enregistrés.
Le palais de justice de Lyon se trouve dans l’obligation d’organiser des travaux pour permettre la mise en place de ce premier procès filmé et pour vivre la plus grande page d’histoire et de justice de l'après-guerre.
La salle des pas perdus du tribunal de Lyon est alors complètement réorganisée pour l’occasion. Pendant neuf semaines, elle servira de salle d'audience pour pouvoir accueillir près de 750 personnes.

©Calvi/Openverse
Le déroulement du procès
Le 11 mai 1987 marque le début de l'audience. La cour d’assises est composée de trois magistrats professionnels (un président, André Cerdini, et deux assesseurs) et, à leurs côtés, des jurés tirés au sort le premier jour.
Le reste de la cour se compose du procureur général Pierre Truche et des avocats. Du côté des parties civiles, 39 avocats dont Serge Klarsfeld et Roland Dumas représentent les 113 associations de victimes présentes. Du côté de l'accusé, c'est l'avocat Jacques Vergès qui assure seul la défense. Au cours du procès, plus de 100 témoignages de victimes ayant enduré les actes de tortures de l'accusé sont entendus par la cour.
Les deux premiers jours du procès se résument à la lecture de l’acte d’accusation, c’est à dire :
la rafle de la rue sainte-Catherine le 9 avril 1943
la rafle des enfants d’Izieu le 6 avril 1944
le dernier convoi du 11 août 1944
Un quatrième chef d’accusation est ajouté le 20 décembre 1985 suite à la demande d’associations de résistants et de victimes ayant saisi la Cour de cassation. Ce dernier acte d’accusation regroupe l’arrestation, la torture et la déportation de juifs ou de résistants pris isolément.
Le juge Christian Riss retient seulement le chef d’accusation de crime contre l’humanité car Klaus Barbie a déjà été condamné à mort par contumace par le tribunal permanent des forces armées de Lyon entre 1952 et 1954 pour des crimes de guerre.
Le troisième jour, c'est-à-dire le 13 mai, Klaus Barbie fait savoir par une déclaration qu’il ne souhaite plus participer à la suite du procès car il estime être détenu de façon illégale et il préfère retourner à la prison Saint- Joseph à Lyon. Cette non-présentation de l’accusé crée une vague de colère très importante chez les victimes et les journalistes. Le procès se prolongera donc sans la présence de l’accusé qui ne reviendra que le 26 mai et le 5 juin pour une comparution face aux auditions des victimes.
Le 15 juin sont cités les témoins de la défense. Les plaidoiries des parties civiles occupent les journées du 17 au 26 juin. Le réquisitoire du procureur général a lieu les 29 et 30 juin, suivi des plaidoiries des avocats de la défense du 1er au 3 juillet.
Les actes d'accusations
Les 15 et 18 mai sont consacrés à l’examen des charges retenues contre Barbie.
La rafle de la rue Sainte-Catherine
Le 12 rue Saint Catherine abrite le siège de l'Union Générale des Israélites de France, un regroupement de deux associations juives : le comité d'aide aux réfugiés allemands et autrichiens et la fédération des sociétés juives de France.
Cette organisation aide notamment à la recherche de logements pour les personnes juives arrivant à Lyon sans argent. De faux papiers sont distribués et des départs à l’étranger sont organisés, notamment vers la Suisse. L'association dispose également de relations avec des personnes non juives qui cachent les Juifs de la Gestapo.
Mais le 9 février 1943, vers 10h, une rafle est orchestrée par Klaus Barbie et la Gestapo lyonnaise. Presque toutes les personnes présentes sont arrêtées, au total 62 hommes et 24 femmes.
Très peu parviennent à échapper au piège, à l'image de Michel Kroskof, qui, muni de faux papiers parvient à persuader Barbie qu'il n'est pas Juif mais qu'il travaille à l'association en tant que peintre. Une fois sorti de l’établissement, il essaye de prévenir un maximum de personnes pour leur éviter la déportation. Victor Szulklaper réussit également à sortir du piège grâce à de faux papiers récupérés grâce à l’organisation .
Au total, 86 Juifs sont arrêtés et emmenés au camp de Drancy puis envoyés dans des centres de mise à mort
La rafle des enfants d’Izieu

Mémorial des Enfants d’Izieu à Belley.
©Auteur inconnu/ Wikimedia Commons
Cette colonie d'enfants est créée par Sabine Zlatin et Miron Zlatin en 1943 dans le village d'Izieu, alors sous occupation italienne, afin de recueillir des enfants juifs. Plusieurs personnes sont alors recrutées pour s’occuper des enfants. Au total 105 enfants séjourneront dans cette colonie.
En septembre 1943, l’Italie capitule et l’armée allemande occupe le village d’Izieu. De nombreuses personnes sont alors arrêtées et envoyées dans les camps. Le couple Zlatin cherche à disperser les enfants.
Sabine Zlatan se rend notamment à Montpellier pour chercher de l'aide, mais elle n'en aura pas le temps. Le 6 avril 1944, une rafle est organisée par la Gestapo. 44 enfants et 7 adultes sont déportés et pour la plupart assassinés à Auschwitz-Birkenau.
Le dernier convoi du 11 août 1944
Le 11 août 1944, plus de 650 personnes à la fois juives et résistantes sont transférées vers les camps de Natzweiler-Struthof, de Ravensbrück et de Birkenau, 650 personnes entassées dans seulement 10 wagons du train n° 14166. Durant le trajet, les hommes et les femmes sont séparés ainsi que les juifs et les non-juifs. Ce sont notamment des personnes arrêtées par mesure de persécution ou par mesure de répression.
Près de 500 personnes viennent de la prison de Montluc et 150 de la prison Saint-Paul à Lyon. L’objectif est de vider les geôles car elles sont surpeuplées mais aussi pour éviter la libération des prisonniers par les Alliés qui approchent.
Ce convoi aurait normalement dû être transféré vers les camps de transit parisiens. Mais en raison de la multiplication des actions de la Résistance et de la progression des Alliés, les nazis décident d’acheminer le convoi directement vers les centres de mise à mort.
Ce train va errer pendant 11 jours à cause des nombreuses impasses créées par les Alliés et les résistants. Il atteindra d'abord le camp de Natzweiler-Struthof, en Alsace, puis Ravensbrück avant d'arriver à Auschwitz-Birkenau le 22 août.
Les témoignages
Près de 107 témoins sont entendus durant le procès de Klaus Barbie.
« J’ai peine à vous décrire la bête sauvage qu’était Barbie. On ne voyait pas un homme en lui. On avait l’impression qu’une bête féroce entrait dans la cellule. D’ailleurs c’était la terreur, la terreur vraiment. » Témoignage de Lise Lesèvre, 22 Mai 1987 lors du procès de Klaus Barbie (source : CHRD Lyon “Le procès Klaus Barbie”). Résistante, elle est arrêtée le 13 mars 1944, torturée personnellement par Barbie puis déportée à Ravensbrück. Son fils et son mari ne sont pas revenus de déportation.
« Barbie m’a fait brûler les jambes. Combien de fois m’a-t-il torturée ? Ça cognait, ça cognait, j’avais mal, je n’en pouvais plus. J’ai perdu la vue à cause des nombreuses gifles et des coups de poing. C’est affreux ce que j’ai souffert. » Témoignage D’Ennat LÉGER, 22 Mai 1987 lors du procès de Klaus Barbie (source : CHRD Lyon “Le procès Klaus Barbie”). Résistante, elle est arrêtée le 8 mai 1944, torturée puis déportée à Ravensbrück.
Ces divers témoignages attestent de la cruauté dont Klaus Barbie faisait preuve à l’égard de ses victimes. Ces histoires, bien que terrifiantes et pour certaines même inimaginables, sont bien souvent pour la première fois entendues par la société.
Lors du procès, il fut souvent demandé aux témoins comment ils pouvaient être certains que c'était bien l'accusé qui les avait torturés, la réponse était souvent la même : les témoins se souvenaient du regard et du sourire de l'accusé.
Les yeux de l’accusé sont beaucoup revenus dans la bouche des témoins. Ils ont tous ou presque parlé de la perversité qui sortait de ses yeux durant les heures de torture. Ses yeux vicieux et son sourire pincé sont deux adjectifs récurrents durant la période des témoignages.
La fin du procès
A la fin de son réquisitoire, le procureur Truche exprime par des mots forts le souhait que Barbie finisse sa vie en prison “je vous demande qu’à vie Barbie soit reclus”.
Avant l’annonce du verdict, le président de la cour, André Cerdini demande à Klaus Barbie s'il veut ajouter quelque chose avant la clôture du procès. Ce à quoi il répondra : «C'était la guerre, la guerre est finie ».
Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1987, à 00h40, le verdict est rendu : Klaus Barbie est reconnu coupable de l’ensemble des crimes contre l’humanité qui lui sont reprochés et il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Il mourra quatre ans plus tard en détention à l'âge de 77 ans des suites d’un cancer du sang et de la prostate.