top of page

Les asperges de Rommel


Asperges de Rommel en France, juin 1944 ·  © Toni Schneiders / Deutsches Bundesarchiv
Asperges de Rommel en France, juin 1944 ·  © Toni Schneiders / Deutsches Bundesarchiv

« Plages du Débarquement, Normandie, 1944 » : depuis 2018, la Normandie postule sous ce libellé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce sont à peu près 150 sites archéologiques sous-marins qui attestent que la guerre s’y est aussi déroulée. De sinistres vestiges séjournent sur le fond marin. Si ceux-là échappent à notre regard et notre conscience, la plage, elle, est sous nos yeux ainsi que sous nos pas. Or de temps en temps, lors des tempêtes, elles émergent et ressortent. À la fois monstrueuses et noirâtres telles des plaies qui s’ouvrent à nouveau quand on les croyait cicatrisées. Des verrues hideuses et sournoises dans l’étendue sablonneuse. Elles, ce sont les asperges de Rommel.



Leur histoire


Décembre 1943, le débarquement des Alliés est pressenti et la tension monte. Il faut être sur tous les fronts, aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. La guerre se déroule partout : sur terre, dans les airs ainsi qu’en mer. Elle oscille entre l’attaque et la défense. Elle se vit au présent et en anticipation car les hommes, fins stratèges, élaborent des scénarios…


Afin d’assurer leur protection et de favoriser leur victoire, les hommes se claquemurent, dressant des remparts et des murs. L’un de ces derniers sera le pilier de la stratégie allemande : le mur de l’Atlantique.


Il s’agit là d’une œuvre tangible colossale, s’étalant sur près de 4400 kilomètres depuis la frontière hispano-française jusqu’au nord de la Norvège. Ce long chemin déteint sur l’organisation Todt, tant il est coûteux, chronophage, ardu. Au point que Todt lui-même se sent désabusé.


Durant cette même période, le maréchal Erwin Rommel, celui que l’on surnomme le « renard du désert » est alors chargé de dresser un état des lieux. Les rapports sont décevants. En effet, trop de failles se présentent. De ce fait, en quelques mois, le maréchal renforce et décuple les dispositifs existants.


4600 ouvrages sont ajoutés le premier semestre de l’année 44 en guise de sursis et d’ultime sursaut. 


Parmi ces dispositifs, des pieux sont installés. Près de cinq à six millions de poteaux de 4 à 5 mètres de long sont plantés dans les champs bordant le littoral et sur les plages. Ces implantations auront pour but d’empêcher l'atterrissage des planeurs, de gêner les parachutistes ou de bloquer l'arrivée des barges. Elles peuvent être notamment retrouvées à Erdeven, Kerhillio, Le Touquet, Royan et Trezmalaouen. Elles seront surnommées « asperges de Rommel ».


« J'estime que nous devons tout tenter pour repousser l'ennemi sur la côte et pour livrer combat dans la zone littorale plus ou moins fortifiée suivant les secteurs. Cela suppose l'établissement d'une zone fortifiée et minée s'étendant sur 8 à 9 km à l'intérieur des terres défendues en direction à la fois de la mer et de l'intérieur. » - Erwin Rommel

Ce sont approximativement 10 000 soldats alliés qui ont péri à cause du mur.


Mais les asperges se sont avérées en grande partie inutiles.



Or le danger ne s’arrête pas là…


L’objectif primaire de ce mur était de durer aussi longtemps que possible. Et force est de constater que 80 ans plus tard, il inquiète, mutile, mobilise encore.


Ces pieux, affreusement érigés comme un salut nazi peuvent empaler tout ce qui passe. Ils sont parfois équipés d’obus à la base qui parachèveraient leur sinistre mission.


Alors que la plage évoque le tourisme, la baignade, l’insouciance, elle se transforme en cauchemar. Les asperges menacent dans l’ombre. 

Elles menacent les bateaux de s’échouer sur la grève, transpercés comme des outres. 

Elles menacent les baigneurs d’être blessés par ces flèches pourrissant dans l’obscurité de l’eau.



Réflexion écologique


La plage est un lieu épuré, de vastes horizons, le passage de la terre à l’océan. Le littoral est un lieu de vie, un écosystème fragile, rare et précieux.


Mais l’Homme est prêt à tout. Il n’en a cure. Il piétine, souille, dénature, tue. Il détruit cette Terre qui l’accueille généreusement et naïvement.


Quelques mois ont suffi pour noircir le littoral. Il faudra des décennies pour retrouver la quiétude… 


Mais la retrouvera-t-on ?



Épilogue


Rommel est l’un des rares à ne pas avoir commis de crime de guerre ni de crime contre l’humanité. Il a été enjoint à se suicider peu après l’attentat du 20 juillet 44 contre Hitler. 

bottom of page