La Seconde Guerre mondiale a été le déchaînement mondial de la colère d'une poignée de nations. Sur les cendres d'un premier conflit meurtrier, s'est érigé des empires construits autour d'idéaux suprémacistes, convaincus, par leur seule volonté, de leur capacité à soumettre l'humanité. On connaît toute la violence des longues batailles ; on apprécie l'héroïsme de nos ancêtres, on sait même que nous ne voulons plus jamais de guerres raciales. Mais sait-on vraiment comment celle-ci est venue au monde ? Comment un seul homme, aidé par quelques officieux apôtres, a pu absorber un pays dans l'enfer d'un totalitarisme mytho-politique ? Nous proposons dans cet article une rétrospective et une analyse de la haine allemande.
Origines profondes du racisme allemand
XIXe siècle, pangermanisme et darwinisme social
En Europe, la seconde moitié du XIXe siècle s'ouvre sur une double révolution. Une révolution matérielle d'abord, qui a vu s'effondrer la plupart des monarchies et grands Empires, puis une révolution des esprits, qui progresse à la lumière de nouvelles théories et courants de pensée qui tendent à mettre de côté la religion dominante, le catholicisme, au profit de la science et de la société. Cette nouvelle idée, le positivisme, émerge en France grâce à Auguste Comte et à Saint-Simon. En Allemagne, elle apparaît grâce à Karl Marx. Enfin, au Royaume-Uni, elle éclot grâce à Charles Darwin.
Ce dernier fût, presque malgré lui, le point de départ du racialisme. Sa "théorie de l'évolution" provoquait un bouleversement de l'influence religieuse, en expliquant pour la première fois une alternative à la théorie dite "créationniste" de la Genèse, enseigné en catéchèse comme la science exacte de l'univers. Cependant, alors que les penseurs cherchent à s'affranchir des thèses religieuses, on découvre de nouvelles manières de penser la société, les relations entre groupes ethniques et la place des cultures dans celles-ci. Dès lors, peut-on imaginer, au sein même de l'espèce humaine, qu'une ethnie puisse être plus avancée qu'une autre ? Ce raisonnement, parfaitement intuitif dans le cadre d'un univers régi par la théorie de l'évolution, c'est Francis Galton, ami de Charles, qui se la formule dès 1870. Il est alors initiateur d'un mouvement de pensée appelé le darwinisme social : en se basant sur l'observation des groupes ethniques tout autour du globe, il vient à la conclusion que si l'homme blanc semble plus évolué que l'homme noir, c'est parce que l'un est plus fort et plus intelligent que l'autre. L'autre gênant les activités et le potentiel intellectuel de l'un, il mériterait de disparaître en vertu de la théorie de l'évolution.
Cette théorie prit pied aux Etats-Unis d'abord, puis est popularisée en Allemagne. Le biologiste Ernst Haeckel s'en empare début XXe et fonde la Ligue Moniste, école de pensée favorisant la diffusion à grande échelle du darwinisme social. Il admet de manière claire que l'homme noir est plus proche du singe tandis que l'homme blanc, indo-européen, représenterait la forme la plus évoluée de l'humanité. La théorie eugéniste allemande a donc pris pied à cette époque, avec comme base le darwinisme social, le positivisme et le rejet du créationnisme chrétien.
Rapport entre antisémitisme et nationalisme européen
L'antisémitisme, c'est-à-dire ici la pensée plaçant le Juif tout en bas de cette pyramide ethnique, est déjà une idée populaire en Allemagne. Dès le moyen-âge, on s'acharne sur cette minorité possédant le capital, représenté par les huissiers. Pendant la période révolutionnaire, les Lumières les fustigent comme trop attachés à la religion, et, à partir des années 1870, les pogroms des Juifs dans l'Empire russe fait se déchaîner sur l'Europe une diaspora juive. Il se fonde alors à cette époque un rejet supranational du Sémite, manifesté par l'affaire Dreyfus en France, mais prend également une véritable dimension idéologique en Europe avec des penseurs comme Charles Maurras, qui rejettent définitivement l'origine juive du christianisme.
L'antisémitisme gagne alors tous les milieux, toutes les nations et tous les partis. Les caricatures antisémites naissent notamment à cette époque. Pire encore : la publication en 1905 par les services secrets russes d'un faux, nommé Les protocoles des Sages de Sion, exacerbe l'idée d'un complot mondial des Juifs, détenteurs de secteurs-clés de l'industrie mondiale comme la banque Rothschild ou les chemins de fer Rockefeller. Mais l'antisémitisme est alors noyé au milieu d'un pangermanisme naissant, qui allait donner, dans la suite, la Première Guerre mondiale.
La première manifestation majeure du pangermanisme.
L'Empire allemand, réunifié depuis 1871, est gagné sous le règne de Guillaume II d'une nécessité biologique de conquête. Sa manifestation la plus frappante est la création d'une "ligue pangermaniste" (Alldeutscher Verband) en 1891, noyau précoce du nazisme, qui avait pour but de développer une hégémonie allemande en ruinant les autres grandes puissances, ce que l'on a appelé le pangermanisme universel. Guillaume II lui-même déclenchât une guerre qui devait permettre d'assoir la domination allemande en Europe, dans un plan comprenant, après victoire, l'établissement sous la direction de l'Allemagne d'une vaste confédération de l'Europe centrale, ainsi que l'asservissement immédiate de 87 millions de non-allemands. Ce plan secret reste la raison officieuse du déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Dans le même temps se développait une nouvelle religion du sang. Le retour aux thèses mystiques païennes de certains précurseurs de l'hitlérisme, comme le baron Rudolf von Sebottendorf, voit se créer en Allemagne de nouvelles sociétés secrètes. Elles cherchent à s'opposer à un certain complot juif, comme la peu connue Société de Thulé (Thule-Gesellschaft, en 1918), ou "L'ordre des Germains" (Germanenorden), qui avait pour insigne la croix gammée et qui vénérait le dieu païen wotan... Et dont quelques membres deviendront des membres influents du parti nazi, tel que Rudolf Hess, plus intime confident d'Hitler, qui transmit les croyances racistes et pangermanistes de la société de Thulé au "Guide" pendant la rédaction de Mein Kampf. Cet épisode le fît d'ailleurs sortir intensément mystique de son séjour en prison. C'est donc dans un noyau doublement raciste et mystique que se développait les bases d'une religion haineuse.
Les caractéristiques de l'Hitlérisme
Le messianisme du "Guide"
Hitler propageât une doctrine religieuse reposant sur plusieurs points. Tout d'abord, le Führer adopte et récupère à son compte plusieurs éléments du christianisme, développant une pensée ostracisant l'héritage "juif" de Saint-Paul ; en outre, il est perçu, dans certains foyers catholiques, comme envoyé par le Seigneur pour relever l'Allemagne déchu. Hitler, par la conviction en un peuple supérieur auquel il s'associe dans un lien indestructible, se veut être une figure christique.
Ma volonté est notre foi. Ma foi est, pour moi, tout comme pour vous, tout ce qui existe sur terre ! Cependant la chose la plus grande que Dieu m’ait donnée ici-bas, c’est mon peuple. C’est en lui que réside toute ma foi. Je le sens de toute la force de ma volonté et je lui donne ma vie.
Hitler, 1935
Il évoquait la Bible à de nombreuses reprises, y compris dans Mein Kampf : "Aujourd’hui, je crois agir selon l’esprit du Tout-Puissant créateur : en me défendant contre les Juifs, je lutte pour l’œuvre du Seigneur." Cette perversion avait un but : souder le peuple Allemand catholique et athée dans un syncrétisme où le mystique Guide est envoyé par Dieu pour secourir un peuple en détresse. Cela dit, même s'il s'agissait d'une nécessité de conquérir des millions de Germains catholiques, la religion hitlérienne n'émanait pas de cette trompeuse relation entre nazisme et évangiles (le catholicisme austro-allemand était bien trop superficiel à l'époque pour s'opposer clairement à la montée de l'hitlérisme).
Médiumnité et mythe d'Adolf Hitler
L'illuminisme Hitlérien tient plutôt grâce au lien mytho-politique entre le Führer et son peuple. C'est ce qui constitue le "Führerprinzip" : le Guide se donne intégralement à un peuple qu'il possède, et dont il est le porteur de la volonté. En considérant le "Volk" (peuple), comme une communauté fermée, il agissait comme le seul homme capable de connaître ses désirs, ses besoins et ses buts. Il faut revenir sur l'entité magique que nous avons déjà évoquée, "Wotan" : Dieu adoré dans la vieille religion nordique, il était également largement représenté dans la base du "Führerprinzip", puisque la médiumnité d'Adolf Hitler allait jusqu'à considérer le Guide comme le prophète de Wotan. Cette médiumnité était renforcée par ses talents extraordinaires d'orateur. Plusieurs témoins affirment que lors de ses grands discours, il était capable de polariser les foules, de manière à créer chez ses sujets un sentiment d'importance. Dans une dimension plus mystique, il aurait été capable de ressentir les foules. Hitler entrait dans une sorte de transe oratoire lors de ses impressionnantes prises de parole, à tel point qu'il perdait plusieurs litres d'eau en une soirée, phénomène observé dans les cas de médiumnité. Il vivait, en un sens, son discours, ce qui a permis de répandre l'idée du guide mystique et suprême envoyé par l'instance divine. Le docteur Ernst Hanfstaengl, référence dans l'étude de la parapsychologie du Führer, estimait que cette capacité à incarner l'héroïque sauveur d'un peuple déchu s'est cantonné à l'Allemagne, manifestant l'absence de réelle magie, mais expliquant comment le peuple Allemand s'est laissé engagé dans des conflits d'anéantissement.
"Le Hitler du début des années 20 était en quelque sorte au Hitler parvenu au pouvoir absolu, ce qu'un prophète est à un prêtre, ou Mahomet à un simple calife. Encore obscur, il incarnait le soldat inconnu qui prêtait sa voix à ses millions de camarades morts sur le champ de bataille et s'efforçait de régénérer la nation pour laquelle ils avaient combattu... [...] Son échec final tient à ce que le reste du monde demeurait insensible à son magnétisme..."
Ernst Hanfstaengl, Hitler, les années obscures, 1967
La perversion d'un peuple entier dans le totalitarisme raciste
E. Hanfstaengl propose donc l'explication la plus rationnelle quant à la plongée du Peuple Allemand dans un racisme revanchard mytho-politique : le désespoir. Dans une Allemagne brisée par les conséquences psychiques de la Première Guerre mondiale, Hitler est apparu comme le "Père héroïque" qui adopte son peuple, dans lequel l'idée d'une fermeture sur le monde au nom de leur race pure pouvait s'épanouir. Objet d'une petite société secrète, le "Führer" était donc en réalité inconsciemment souhaité par un peuple détruit, qui s'est satisfait de voir leurs sombres désirs être satisfait par la mise en scène d'une politique mystique. Les rites collectifs (tels que les congrès de Nuremberg) étaient donc à l'écart de la critique individuelle et accaparaient la communauté, dans la mesure où le peuple était constamment plongé dans le délire d'une entité immuable et unifié par l'Histoire : le citoyen allemand, constamment soumis à l'image de la "pureté de sa race" et de la grandeur de son peuple, devenait lui-même objet de la nation, perdant peu à peu, comme son Guide, son identité au profit de l'immense théâtre mystique et totalitaire qui, seul, lui donnait un moyen d'exister. L'inévitable finalité de cette "aliénation collective" était, sans nul doute, la perte par la nation germanique de tout contact avec la réalité des faits et de toute vérité non-allemande... et, par la suite, a permis de donner une légitimité au plus grand et au plus effroyable génocide que l'Histoire n'ai jamais connu.