Mémorial national de la prison de Montluc
- Céline Piron
- 11 juin
- 6 min de lecture

Haut lieu de la mémoire nationale, la prison de Montluc, menacée de démolition à sa fermeture en février 2009, fut sauvée par certains de ceux qui y furent enfermés et le Mémorial National rend aujourd’hui hommage au près de 10 000 résistants, Juifs et otages, victimes de l’occupant nazi entre 1943 et 1944.
La prison de Montluc sous l’occupation allemande
La prison réquisitionnée
Construite en 1921 et prévue pour une capacité totale de 127 détenus, la prison de Montluc ne fut que peu utilisée avant 1939, année où elle accueillait alors ceux arrêtés et condamnés à la suite des mesures prises pour protéger la IIIe République, dont l’état de siège décrété le 1er septembre 1939 .
Montluc est ensuite devenue une prison militaire sous le régime de Vichy ; puis, après l’invasion de la zone libre le 11 novembre 1942 par l‘armée allemande, celle-ci réquisitionne l’ouvrage carcéral de janvier 1943 à août 1944. Bien que prison militaire de la Wehrmacht, Montluc a des liens étroits avec la Gestapo de Lyon et de son chef, Klaus Barbie surnommé le « boucher de Lyon ».
A cette période, les vagues d’arrestations successives augmentent considérablement le nombre de personnes au sein de Montluc, jusqu’à 1300 internés. Pour eux, à l’absence de tout (nourriture, toilette, colis, …) s’ajoute la violence des interrogatoires et de la torture qui se déroulent au siège de la Gestapo, à l’Ecole de santé militaire de Lyon.
Montluc n’est alors plus un lieu de détention mais bien d’internement en raison de l’emprisonnement arbitraire de résistants, opposants politiques, Juifs, otages, réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO). Ce lieu devient l’antichambre vers les exécutions et la déportation qui ne cesseront de s’intensifier au gré du renforcement de la répression jusqu’à sa libération. Cette massification d’exécutions sommaires s’illustre par les chiffres communiqués sur le site du Mémorial National : « Ce sont au moins 635 internés de la prison de Montluc qui sont ainsi massacrés entre les mois d'avril et d'août 1944. À eux seuls, les deux derniers massacres de Bron, les 17, 18 et 21 août et de Saint-Genis-Laval le 20 août 1944 comptabilisent plus d’un tiers des personnes exécutées avec au moins 229 victimes, quelques jours seulement avant la libération de Montluc ».
La Résistance, la Croix-Rouge et les autorités religieuses ont raison de l’acharnement nazi, et les autorités allemandes consentent à la libération de la prison des quelques 900 internés encore présents le 24 août 1944.
C’est pourtant près de 10 000 hommes, femmes et enfants qui furent internés à Montluc sous l’occupation de l’Allemagne nazie.
Le souvenir des internés de la prison de Montluc
Le parcours de visite du bâtiment cellulaire présente des photographies et des biographies permettant d’exposer avec clarté les profils différenciés de ces internés de Montluc.
Le visiteur découvre au sein de la cellule 130 une photo de Jean Moulin. Ce dernier est enfermé à Montluc après son arrestation le 21 juin 1943 à Caluire-et-Cuire par la Gestapo avec à leur tête, Klaus Barbie. Enregistré sous le nom de « Jacques Martel », Jean Moulin a deux jours de répit avant d’être dénoncé par un résistant torturé. Le 23 juin 1943, l’enfer de « Max », autre pseudonyme de Jean Moulin, commence, torturé au sein des locaux de l’Ecole de santé militaire de Lyon. Transféré quelques jours plus tard au sein des locaux parisiens de la Gestapo où la torture se poursuit, il décède, selon l’armée allemande, le 8 juillet 1943 en gare de Metz.
C’est aussi à Monluc que les 44 enfants juifs et 7 éducateurs de la colonie d’Izieu sont emmenés et incarcérés après avoir fait l’objet d’une rafle de la Gestapo commandée par Klaus Barbie le 6 avril 1944. Ils sont transférés à Drancy, et le 13 avril, le convoi n°71 déporte les premiers enfants vers Auschwitz. Aucun de ces enfants âgés de 4 à 16 ans ne reviendra.
Le destin d’autres personnalités publiques est également lié à la prison de Montluc.
C’est le cas de Claude Bloch, arrêté à l’âge de 15 ans avec sa mère Eliette Meyer, épouse Bloch, et internés à Montluc où, dès le lendemain, Claude est enfermé dans la « Baraque aux Juifs », aujourd'hui détruite. Avec sa mère, ils s’imaginent chanceux d’être autorisés à prendre une valise lorsque leur nom est appelé, car cela signifie qu’ils ne seront pas immédiatement fusillés. Cependant, Claude et sa mère sont emmenés à Auschwitz-Birkenau depuis le camp de Drancy le 31 juillet 1944, par le convoi 77. A son arrivée à Birkenau, Claude Bloch veut rester avec sa mère, mais Eliette le pousse vers la file des hommes, lui sauvant ainsi la vie. Claude Bloch sera l’un des 7000 survivants d’Auschwitz, mais ne reverra jamais sa mère.
Enfin, le couple le plus célèbre de la résistance, celui qui a échappé à plusieurs reprises à la Gestapo, a également marqué de son empreinte l’histoire de la prison de Montluc. En effet, le résistant Raymond Aubrac est arrêté à Caluire-et-Cuire avec Jean Moulin, et interné avec ce dernier au sein de la prison lyonnaise. Depuis sa cellule, il est le dernier témoin de l’état de Jean Moulin lors de son départ définitif de la prison. Raymond Aubrac est également interrogé et battu par Klaus Barbie au siège de la Gestapo. Lucie Aubrac, épouse de Raymond, met en œuvre un subterfuge afin de connaître le trajet du fourgon où est enfermé son époux. Grâce à l’opération qu'elle met au point, le 21 octobre 1943, le convoi ramenant son époux de l’Ecole de santé militaire à la prison de Montluc est attaqué permettant, ce jour-là, la libération de Raymond Aubrac et de treize autres internés.
Montluc comme symbole français de mémoire
Montluc : de la prison au monument historique

Après la libération, Montluc est l’un des établissements pénitentiaires de l’épuration judiciaire. Puis, devenue prison civile à partir de 1947, son histoire reste étroitement liée à la justice militaire. La prison de Montluc est le lieu de cinq exécutions capitales entre le 8 août 1958 et le 22 mars 1966, prononcées par la justice civile, ainsi que de onze Algériens, membres du Front de Libération Nationale (FLN) condamnés à mort par le Tribunal Permanent des Forces Armées de Lyon, et guillotinés à Montluc entre septembre 1959 et janvier 1961.
Après la dissolution des tribunaux militaires en 1982, l’établissement pénitentiaire ferme ses portes en deux étapes : l’aile de détention des hommes en 1997. En 2009 c'est le tour de l’aile des femmes, utilisée en tant que maison d’arrêt.
Alors qu’elle était menacée de démolition, la prison de Montluc est inscrite aux Monuments historiques le 25 juin 2009 grâce à l’action de plusieurs associations, dont l’Association des Rescapés de Montluc, soutenue par les pouvoirs publics.
La prison de Montluc devient l’un des dix Hauts lieux de la mémoire nationale, propriétés de l’État, placés sous la responsabilité du ministère des Armées, qui perpétuent la mémoire des conflits contemporains (de 1870 à nos jours), et dont la gestion est confiée à l’office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG).
La prison de Montluc, alors rénovée, est un lieu de recueillement, d’histoire et de transmission de la mémoire.
Klaus Barbie : de boucher à détenu
Pour défendre cette mémoire, Robert Badinter, alors garde des Sceaux, promulgue, le 11 juillet 1985, une loi autorisant la captation de certains procès, notamment en prévision du procès de Klaus Barbie. Il déclare : « Vu l’atrocité des faits et le nombre exceptionnel de victimes, le procès s’annonce historique et médiatique. Ne conserver aucune trace de ce procès pour la mémoire paraît inconcevable. »

En effet, au terme d’une traque de presque dix années, et aidés par deux mères d’enfants d’Izieu, Fortunée Benguigui et Ita-Rosa Halaunbrenner, les époux Klarsfeld ramènent Klaus Barbie en France, à Lyon, le 5 février 1983.
Comme le rappelle la série Klaus Barbie, larmes du crime diffusée dans « 13h15 le dimanche », Robert Badinter déclare : « Il faut le ramener à Montluc, là où il a torturé. Là où il a battu, là où il a accompli ses crimes. Il faut qu'il soit là, dans la cellule même où d'autres ont été avant lui, qu'il a torturés à mort ».
Aussi, conformément à la demande du ministre de la Justice, le boucher de Lyon est symboliquement incarcéré une semaine à la prison de Montluc, sur le lieu de ses crimes, et notamment à quelques mètres de la cellule 130, celle où il a enfermé Jean Moulin en 1943. Il est ainsi le dernier détenu lié à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale enfermé à Montluc.
Aujourd’hui Haut lieu de la mémoire nationale, la prison de Montluc est le témoignage de ce que fut l’arbitraire, la violence d’État et la terreur nazie sur le sol français. Par sa médiation évolutive, ce lieu est un outil essentiel pour comprendre notre histoire et la nécessité de s’approprier le devoir de transmettre afin d’éviter de reproduire les erreurs tragiques du passé alors que l’Histoire n’est jamais définitivement derrière nous car, comme l’écrivait Paul Éluard, « Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons. »