Primo Levi à son bureau en 1960. · © Auteur inconnu
La bravoure constante de Primo Levi a été un catalyseur central dans la vie de l’historien, écrivain et chimiste italien. Avec une pensée libérale, optimiste et audacieuse, l’homme a su mêler ses plus sombres souvenirs dans les camps avec la conscience de l’Homme face aux portes de la mort. À travers ses ouvrages écrits ainsi que ses témoignages de vive voix, Levi a vaincu le plus grand ennemi des survivants durant la Seconde Guerre mondiale, et cela, grâce à sa mémoire, parfois trompeuse : le silence.
Primo Levi : naissance d’un Juif italien au cœur d’un contexte épineux
Né à Turin dans une famille juive piémontaise et peu pratiquante en 1919, Primo Levi voit les premières lueurs du monde s’assombrir dans son propre pays natal. En effet, de par sa constitution chétive ainsi que son identité juive, l'italien devient la cible mère des moqueries durant son enfance.
Une adaptation complexe pour la judéité italienne
En 1938, vivant avec crainte sous un gouvernement impitoyable, sous l'œil avisé de Benito Mussolini, Levi discerne dans l’air italien une mentalité antisémite contre la judéité. Cette impression se confirme dès la promulgation des lois raciales validées par un régime fasciste. Cette accablante mise à l’écart des Juifs italiens n’a guère immobilisé les multiples ambitions de Primo Levi. En effet, ce dernier poursuit ses études, et cela, malgré les regards méprisants et incessants envers les Juifs.
Une passion incandescente pour les sciences de la matière et des transformations
C’est par sa fascination et sa persévérance que Levi sort diplômé de l’université de Turin en 1941. Bien que l’italien, passionné par la chimie, brandit fièrement son doctorat avec la plus haute mention, celui-ci ne parvient pas à se faire accepter dans le monde professionnel, et cela, malgré la grandeur magistrale de son niveau d’étude.
De résistant à prisonnier face à un destin impitoyable et incertain
Dès l’arrivée de la République sociale italienne en 1943, Primo Levi s’installe à Milan et rejoint par la suite la Résistance italienne aussi appelée la « Giustizia e Libertà », connue comme étant une organisation antifasciste localisée dans les Alpes italiennes.
Ce mouvement, méprisé par le haut gouvernement, entraîne Levi vers une arrestation soudaine par la Gestapo suivie d’une déportation dans un camp d’internement juif de Carpi-Fossoli proche de la frontière autrichienne la même année.
Le camp d’Auschwitz : 1 an de déshumanisation à son paroxysme
Deux mois se sont écoulés dans le camp de Carpi-Fossoli pour Primo Levi. Cependant, le cauchemar pour le prisonnier italien ne fait que commencer. En 1944, aux côtés de 650 autres Juifs, Levi, 24 ans à cette époque, est déporté au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz. Un an s’écoulera pour l’homme. Toutefois, ce lieu, semblable aux gouffres de l’Enfer, impactera Levi à jamais.
L’italien juif est témoin des atrocités exercées par les nazis durant la Shoah. Seule l’oppression, la peur omniprésente, la faim et la violence sous un climat hivernal glacial envahissent les murs et l’atmosphère du camp, balayant tout signe d’humanité chez de nombreux prisonniers de même que chez les surveillants.
« Plus ou moins, consciemment, nous espérions trouver au moins de la solidarité entre prisonniers. » — Primo Levi raconte Auschwitz en 1972
L’obstacle principal qui empêchait les prisonniers de s’entraider était la barrière linguistique. En effet, bon nombre d’entre eux étaient des Juifs venant de différents pays, notamment la France, la Pologne et la Hongrie.
« L’une des raisons du manque de solidarité était l’incompréhension générale. De nombreux détenus parlaient yiddish, polonais, hongrois, français, néerlandais. C’était un océan d’incompréhension. » — Primo Levi raconte Auschwitz en 1972
Les connaissances de Levi en chimie : un passeport de survie dans le camp
Les études de chimie de Primo Levi ont été en partie un vecteur de survie pour le prisonnier italien. En effet, grâce à cette connaissance académique sur les sciences de la matière et des transformations qui fut finalement un avantage vital, Levi eut la possibilité de travailler temporairement en tant qu'assistant de laboratoire dans le camp de Monowitz, l’un des trois ensembles de camps de concentration d'Auschwitz.
Une mince lueur d’espoir entre camaraderie et maladie
Recherchant un éclat d’humanité parmi ses compagnons de cellule, c’est grâce à la bonté de Levi et à son besoin profond de contact humain qu’il réussit à se faire des amis dans le camp d’Auschwitz, lui permettant ainsi de ne pas sombrer dans la violence et dans la folie.
Toutefois, c’est paradoxalement grâce à la maladie que l’italien esquive le couloir de la mort, environnement dirigé par les surveillants nazis. En effet, début janvier 1945, Levi est pris d’une maladie : la scarlatine. Il s’agit d’une maladie infectieuse due à une bactérie. Accompagné d’une forte fièvre, d’une angine ainsi que d’une éruption cutanée, le détenu italien est emmené à l’infirmerie.
Ce n’est que deux jours après que les soldats nazis nettoient le camp. Tandis que Levi se fait hospitaliser aux côtés des infirmiers, la moitié de ses camarades de cellule se font emporter de force vers une marche forcée, laissant derrière leurs pas tout espoir de survie.
Les cloches des bombardements : quand “les bombes angéliques” délivrent les détenu
Tandis que Levi est toujours allongé sur son lit d'hôpital dans le camp d'Auschwitz, des bombardements inattendus effrayent au même moment les Allemands. Cette attaque, non anticipée par ces derniers, les contraint à quitter le camp, laissant derrière des prisonniers vivants, dont des malades. Ces derniers sont restés 10 jours dans le camp, entre le départ des Allemands et l’arrivée des Soviétiques, toujours rongés par la faim et la maladie.
Le 27 janvier 1945, seule une vingtaine de Juifs italiens échappèrent à la mort, dont Primo Levi.
Le témoignage et la mémoire de l’écrivain Primo Levi : les sources et inspirations primaires de ses ouvrages
Primo Levi n’était pas seulement un homme ayant échappé à la mort dans le camp d’Auschwitz, il était un combattant contre l’oubli. L’écrivain italien persistait à raconter et à écrire ses expériences non seulement en tant que détenu juif dans le camp de concentration, mais également en tant qu’être humain. Son engouement envers la conscience de l’Homme et l’éveil de cette dernière étaient ses motivations primaires.
Faire réagir et faire crier ses lecteurs ainsi que ses auditeurs face à un événement historique et abominable tel que la Seconde Guerre mondiale et ses camps de concentration résonnaient en permanence dans la vie de l’écrivain italien.
Les retrouvailles entre un homme blessé et un nouveau monde cicatrisé
Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, Levi reprit sa vie en main. Fondant une famille avec son épouse Lucia Morpugo, les deux amoureux se comblèrent mutuellement aux côtés de deux enfants.
Ce n’est qu’après la guerre que Levi eut la chance de recourir à son doctorat afin de diriger une entreprise de produits chimiques.
Le chimiste italien décida par la suite de retranscrire ses expériences vécues dans le camp nazi en publiant son ouvrage Si c’est un homme en 1947. Ce dernier est décrit par les lecteurs comme étant un journal sur la déportation du rescapé italien ainsi que l’un des premiers témoignages révélés sur la vie au camp de concentration d’Auschwitz.
Un best-seller aux côtés de l’ouvrage Le Journal d’Anne Frank, Primo Levi fit perdurer son statut d’écrivain en publiant d’autres œuvres écrites telles que La Trêve en 1963 ou Les Naufragés et Les Rescapés en 1986.
Des adieux soudains et sans réponses concrètes d’un Italien optimiste
Bien que le retour à une vie pour le moins normale demeura un défi majeur pour Levi, ce dernier, malgré la présence chaleureuse de sa famille à ses côtés, fut bien trop affecté par la présence du révisionnisme et de l’indifférence dans le nouveau monde.
Son optimisme pour l’humanité et son implication sur la conscience de l’Homme ne purent le maintenir plus longtemps en vie. Enseveli par la dépression, Levi se suicide en se jetant dans la cage d’escalier de son immeuble, rendant son dernier souffle le 11 avril 1987.
Primo Levi demeure à ce jour un symbole de force, aussi bien pour les rescapés, les exilés ainsi que tous les individus subissant et fuyant la violence. Il restera à jamais l’épitome du terme : « Raconter devient une nécessité ».