Les chambres à gaz ? Le massacre d'Oradour-sur-Glane ? Le journal d'Anne Franck ? Les crimes de guerres et crimes contre l'humanité des SS ? Pour le néonazi français Vincent Reynouard, tout ça n'est qu'une vaste mascarade de gouvernements trop pressés d'imposer un récit occultant le régime nazi. Loin d'être isolé, le cas Reynouard nous rappelle à quel point la protection de la mémoire est loin d'être le Violon d'Ingres de notre génération... et des précédentes. Retour sur un demi-siècle de mystifications et sur l'implacable actualité du négationnisme.
Réviser, refaire, redire, c'est la tâche des historiens, pense-t-on lorsqu'on entend le terme de "révisionnisme". Mais que faire quand, au nom de la liberté d'expression, on remet en cause des massacres de masse à des fins haineuses ? Le 1er octobre 1946, une quarantaine de chefs nazis sont reconnus coupables par le premier tribunal militaire international de crimes contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. L'histoire contemple ce jugement, accablant pour un nazisme ayant laissé pour seul héritage à l'Europe des peuples brisés par six ans de guerre. Les années passent, les blessures se referment, les témoins du conflit disparaissent lentement. La mémoire de guerre est popularisée, vulgarisée... et réinterprétée. A l'effondrement du Reich a survécu quelques fanatiques, qui, à travers les personnages de Mark Weber aux Etats-Unis ou de Paul Rassinier en France, propagent des théories dédouanant le IIIe Reich...
Robert Faurisson ou l'urgence de la loi Gayssot
Fin 1978, les communautés d'historiens ont la grande surprise, en ouvrant Le Matin de Paris puis Le Monde, de découvrir deux articles d'un individu sans notoriété mettant en cause directement l'existence des chambres à gaz. Robert Faurisson, cinquante ans et maître de conférences en littérature ancienne à Lyon, y publie un article intitulé "Le problème des chambres à gaz, ou la rumeur d'Auschwitz". S'imposant de plus en plus dans le traitement médiatique mais aussi à l'international (notamment en défendant des collègues néo-nazis au Canada), Faurisson est un agitateur inspiré par Rassinier maintes fois défait par de nombreux procès dans les années 80 et 90. Dès février 1979, d'éminentes personnalités de l'histoire de la Shoah, Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet, publient une réponse (également cosignée par 34 historiens) sur l'existence de la Shoah, se trouvant être la première véritable humiliation publique du falsificateur. Il essuie alors un procès intenté par Poliakov à son encontre en 1981. En juillet et à cinq jours d'intervalle, Faurisson est condamné à la prison avec sursis à l'issue de procès ayant notamment vu Badinter plaider contre ses mystifications. Notons enfin la proximité entretenue par Faurisson avec des cadres de partis d'extrême droite, notamment par son avocat Daniel Burdeyron, ancien militant néonazi adhérent au Front national, parti d'extrême-droite fondé par, entre autres, Jean-Marie Le Pen en 1972.
A partir de 1990, la loi Gayssot, première loi mémorielle, réprimande le délit de négationnisme. Contester les crimes contre l'humanité tels qu'ils ont été définis par le tribunal de Nuremberg est désormais interdit et Faurisson deviendra le premier condamné en vertu de cette loi. Commence alors une longue invisibilisation médiatique, dont le chasseur de scandales se tirera en diffusant ses thèses au Moyen-Orient et en Iran (terres antisionistes particulièrement fertiles aux théories négationnistes ; la mémoire de conflits génocidaires y étant d'ailleurs absente). En 2010, le tribunal de Paris valide la qualification de "faussaire de l'histoire" à l'encontre de "l'historien", achevant d'établir son manque total de crédibilité.
Faurisson est mort, ses idées survivent. Première pierre de ce qui se fait de pire aux extrêmes de la politique, la référence révisionniste a eu le temps de voir une pléthore d'héritiers se réclamer de ses idéaux, et tant pis s'ils naviguent à contre-courant de la raison. La véritable force de l'acharnement des négationnistes ne se trouve pas dans un minutieux souci de contribuer au "roman vrai" qu'est l'histoire, tant s'en faut, mais plutôt dans l'inextinguible haine du juif et du sioniste.
"Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des juifs forment un seul et même mensonge historique, qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l'État d'Israël et le sionisme international"
Robert Faurisson, 1980
Si Faurisson aimait à dénoncer des "complots sionistes", ses successeurs amplifièrent le rayon d'action de ses théories complotistes, allant jusqu'à contester l'authenticité du Journal d'Anne Franck ou le massacre d'Oradour-sur-Glane.
Vincent Reynouard, le Faurisson des temps moderne
Vincent Reynouard est l'un d'entre eux : rapatrié sur le sol français en février 2024 après une arrestation en Irlande, il attend un procès pour contestation de crimes contre l'humanité, incitation à la haine et négation de crimes de guerre. Autant de chefs d'accusations attestant de l'antisémitisme et du néo-nazisme de l'individu, qui n'hésite pas à contester les commémorations du débarquement comme des mises en scène à valeur de propagande. Toujours diffusé au sein d'organisations intégristes catholiques (fraternité Saint-Pie-X) ou de revues d'extrême-droite (Rivarol), Reynouard est la face visible de l'iceberg révisionniste, alimenté en sous-sol par la hausse des actes antisémites et par certaines organisations néo-nazies. Qu'on ne se méprenne pas : le révisionnisme n'a, comme susmentionné, aucune valeur réellement historique (comme l'atteste la fausse démarche scientifique sur le sujet) mais simplement comme objet de nuire aux juifs et de réhabiliter des figures nazies, fragilisant ainsi notre démocratie en attisant la division.
Un rappel à l'intention du monde
Le devoir de mémoire nous assigne à quelques obligations. Notamment celle d'informer, le plus possible, le plus largement, à l'encontre des assassins de la mémoire et des récits alternatifs. Nombreux encore sont ceux qui tombent dans le piège de la contre-histoire, se pensant original et authentique en cherchant des théories aux confins de la raison (on parle de méthode hypercritique : chercher des faits isolés pour contester un fait). Bien que nous nous refusons à alimenter un débat qui n'a pas lieu d'être, éclaircissons les points faibles de l'histoire de la Shoah utilisés par les négationnistes.
L'existence des chambres à gaz et le massacre de millions de juifs ont été au coeur des travaux révisionnistes. Détruites dans leur majorité à l'approche des armées soviétiques, sans traces de corps (incinérés), il semblerait, si l'on fait d'hâtives conclusions, que les chambres à gaz et les fours crématoires sont d'habiles machinations. Rappelons-nous pourtant la masse indiscutable de témoignages accablants, émanent d'abord des gardes chargés de conduire les juifs vers les chambres à gaz ou même de Rudolf Hess, commandant d'Auschwitz, déposant lui-même aux procès de Nuremberg que 2 millions de juifs ont été assassinés dans son camp d'extermination (selon les historiens, en tentant de sauver sa peau, Höss a volontairement exagéré ce chiffre d'un million d'individu. Il est communément admis que près de 1 100 000 individus ont été exterminés à Auschwitz). Par rapport à la méthode d'extermination, elle est réglée le 20 janvier 1942 lors d'une réunion de chefs nazis par le ministre de la police, Reinhard Heydrich : "[une grande partie des juifs déportés] s’éliminera tout naturellement en raison de son état de déficience physique. Le résidu qui subsisterait en fin de compte [...] devra être traité en conséquence". Selon la référence en histoire de la Shoah Léon Poliakov, on y perçoit un double euphémisme, évoquant implicitement à travers l'expression "traité en conséquence" l'utilisation de moyens d'extermination à grande échelle, les chambres à gaz. Rappelons enfin la totale nocivité du Zyklon B même à de faibles quantités et sur son utilisation massive par la SS (l'usine de production de Zyklon B allemande Testa n'avait que cet organisme pour client, tandis qu'une usine française voit sa production mensuelle excéder les 34 tonnes par mois en 1944). Projeté dans 6 chambres à gaz de 200 m2 à Auschwitz, la SS pouvait gazer jusqu'à 1 000 personnes par jour entre février 1942 et novembre 1944. Le rendement des fours crématoires est quant à lui estimé à près de 4 700 personnes en 24h de travail selon un rapport d'un ingénieur ayant travaillé sur les fours crématoires.
Vis-à-vis du mobile nazi (Faurisson extrapolait que jamais Hitler n'avait pas l'intention d'exterminer qui que ce soit en raison d'une appartenance à un groupe ethnique ou religieux), le mystère n'en est pas un : les éléments de langage retrouvables autant dans des discours que dans Mein Kampf, ou encore parmi les chefs nazis qualifiant les "Untermenschen", c'est à dire les "sous-hommes" suffisent à prouver une implacable volonté de faire disparaître les juifs de la surface d'un nouveau monde "purifié".
Le journal d'Anne Franck a marginalement reçu des critiques sur son authenticité, provenant du fait que certains passages auraient été écrits au stylo à bille, celui-ci n'existant pas en temps de guerre. Il convient à ce sujet de noter que le journal d'Anne Franck a été maintes fois annoté après-guerre par Otto Franck, père de l'adolescente, ayant pour résultat un nombre important de feuilles rédigée au stylo à bille. Les éditions du livre comportent désormais des avant-propos avertissant des différentes versions qu'a connu le journal d'Anne Franck : une version "A" rédigé par la néerlandaise en toute intimité, une version "B" largement annoté et réécrite par elle-même en apprenant que les documents tels que les journaux intimes pourront servir aux autorités après-guerre, et une version "C" commentée par son père.
Le massacre d'Oradour-sur-Glane est également depuis quelques années la cible de critiques par les pontes du négationnisme français. Symbole de la barbarie nazie, le massacre survenu le 10 juin 1944 fait 643 victimes, femmes, hommes et enfants. La division SS "das reich" qui le commet est coutumière des massacres de masse, ayant servi sur le front Est. Les récits de survivants et de militaires concordent et permettent de prouver l'entière responsabilité des SS dans ce massacre et de reconstituer minutieusement le déroulé des opérations. La première thèse négationniste sur le sujet émane d'un ancien nazi lui-même. Sa théorie se base sur les motifs du massacre, qu'il tend à justifier par une pseudo-résistance des habitants (il n'existait aucun maquis dans la région). Il admet que ses sources, au moment où il écrit, sont des archives perdues et donc invérifiables. Il ne consacre que quelques lignes au massacre en lui-même, en contredisant tous les témoignages sur le sujet. Un témoignage d'un officier de la Bundeswehr, prétend quant à lui que lors d'une visite en 1964, des "vieux du village" lui ont affirmés que les nombreux décès étaient dû à une explosion d'un dépôt de munition dans l'église. Des paroles rapportées suffisent encore, aujourd'hui, à alimenter un discours néo-nazi... En 2020, le mémorial des martyrs d'Oradour est vandalisé avec la mention peinte à la bombe "Reynouard avait raison", ne manquant pas de créer un tollé médiatique ainsi qu'une nouvelle vigilance chez les associations de protection de la mémoire.
Que l'histoire soit une science sociale constamment revisitée, que les historiens fassent leur travail, soit ; mais qu'une minorité bruyante souille, par la seule volonté de nuire à nouveau aux communautés victimes de la Seconde Guerre mondiale, la mémoire de millions d'hommes, est indéniablement une offense terrible. Comme nous l'avons vu, le cas Vincent Reynouard est loin d'être isolé ; gardons à l'esprit qu'au fil des âges, la lubie révisionniste est une lubie néo-nazie. Comme le rappelle Léon Poliakov, il ne s'agit pas de se demander comment un tel meurtre de masse a été possible techniquement ; il est possible techniquement puisqu'il a eu lieu. Si la peine de mort a bien été abrogée, les assassins de la mémoire, eux, continuent d'officier secrètement.