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Quand les mélodies résonnent au coeur des dictatures : la musique comme arme propagandiste

Joshua Raynaud

Photographie de l'harmonie Sainte-Cécile de Neuvy-en-Champagne, en 1944 ·  © Auteur inconnu / TIM Armée de Terre
Photographie de l'harmonie Sainte-Cécile de Neuvy-en-Champagne, en 1944 ·  © Auteur inconnu / TIM Armée de Terre

Dans son célèbre ouvrage Critique de la faculté de juger paru en 1790, le philosophe Emmanuel Kant affirmait « le charme de la musique, qui peut se communiquer si universellement, semble reposer sur le fait que toute expression du langage possède dans un contexte un ton, qui est approprié à son sens ». Au-delà d’un simple divertissement, la musique a joué un rôle fondamental, en tant qu’arme et refuge durant la Seconde Guerre mondiale. Certes, la musique a été principalement relayée comme un outil nationaliste, plaçant le culte de la personnalité des dictateurs en avant, tout en galvanisant les esprits. Toutefois, elle porta également les aspirations des peuples réprimés, consola les âmes meurtries et résonna au cœur des grands rassemblements. 



La musique, au service des régimes répressifs : entre notes d’adoration et prudence discursive 


Les chants ont permis la glorification du leader suprême tout en promouvant l’idéologie d’un régime unique et idéalisé. À travers des mots méticuleusement choisis, ces hymnes, souvent inculqués dès l’enfance dans les écoles, ont permis d’influencer et d’inscrire dans les esprits le culte du chef. 


Les mélodies comme un instrument politique sous la botte nazie


Les nazis se revendiquaient comme appartenant à la « race aryenne », c’est-à-dire une race supérieure destinée à contrôler et à purifier le monde. Ainsi, sous le IIIe Reich, la musique a été mobilisée au cœur des politiques culturelles visant la construction d’une « communauté du peuple », de l’allemand Volksgemeinschaft, tout en légitimant et forçant la population à adhérer à cette idée de supériorité de classe.


Contrôlée par le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, la musique devient alors un enjeu politique, consolidant le nationalisme. Un des hymnes les plus pertinents, à titre d’exemple, est Horst Wessel Lied, chant funeste des sections d’assaut. Cet hymne devint un symbole du nazisme, imposé dans les cérémonies officielles et les rassemblements de masse. Il commence par « Le drapeau est levé ! Les rangs bien serrés ! Les sections d’assaut marchent d’un pas calme et ferme ». Ces paroles glorifient le régime, dont la discipline paramilitaire, ce qui renforce l’endoctrinement de la population et des troupes.


Concernant les camps de détention ou de concentration, la musique a été mise au centre de ce que nous pouvons qualifier de « sadisme des Schutzstaffel (forces armées) ». De fait, elle a participé à la torture psychologique et assujettissement des détenus (juifs, tsiganes, opposants politiques etc.). Ils étaient obligés de chanter sous les coups et les insultes. Ces musiques exaltées pour incarner l’idéologie aryenne, accompagnaient les exécutions publiques sur la place d’appel. Elles permettaient d’aviver la pleine puissance de la botte nazie et renforcer l’humiliation. Parmi ces oeuvres, nous pouvons retrouver des extraits d’opérettes de Franz Lehár, notamment  Heure exquise, dont les paroles « Gardez-moi, puisque je suis à vous » tendaient à inférioriser les individus jugés comme impurs ou non-conformes à l’idéal-type. La légèreté des tonalités et le côté sentimental accentuaient l’horreur de la situation, comme si l’accomplissement de leur devoir de purification des individus jugés indignes avait été accompli pour le ‘’bien commun’’.


Répression musicale sous la France de Vichy « Maréchal nous voilà » 


La France de Vichy (1940-1944) est marquée par un régime collaborationniste autoritaire qui utilise la propagande pour asseoir son pouvoir et légitimer la présence de l’Allemagne. 


Lors de l’occupation, la plupart des musiques qui passaient à la radio étaient allemandes. En parallèle, la musique a joué un rôle majeur dans la stratégie de propagande à l’effigie du maréchal Pétain, notamment par la diffusion de chants à sa gloire. 


Le régime de Vichy imposa Maréchal, nous voilà !, un chant destiné à la fascination de la figure de Pétain dans la représentation collective. Cet hymne est paru en 1941 par André Montagnard. Des paroles telles que « Maréchal, nous voilà ! Devant toi le sauveur de la France. Nous jurons (…) de servir et de suivre tes pas », montrent que cet hymne exalte le culte de la personnalité créé autour de Pétain. Ce chant a été largement relayé à la radio, dans des cérémonies officielles et dans les écoles. 


À posteriori, le 8 janvier 2025, le journal Libération a nommé son article portant sur la mort de Jean-Marie Le Pen : « Maréchal, le voilà », en appuyant sur cette idée de personnalité répressive.


Les symphonies de l’Italie fasciste


Lors de la seconde guerre mondiale, l’Italie est sous le régime dictatorial de Benito Mussolini, qui a lui aussi, utilisé la musique afin de glorifier l’État fasciste et ses aspirations de puissance et de nationalisme. 


Mussolini a également mobilisé la musique pour impacter et manipuler la jeunesse. L’hymne officiel du Parti national fasciste italien de 1924 à 1943, Giovinezza (jeunesse), a été écrit par Salvator Gotta. Ces paroles étaient “bramées” lors des rassemblements de masse et des cérémonies formelles. Par une stylistique choisie métaphoriquement, ces sons prônaient la jeunesse, l’engagement pour la Nation et la vitalité. « Jeunesse, la liberté, la fidélité au fascisme […] en ce printemps de beauté ». 


L’utilisation de la poésie idéalisée cherche à susciter un sentiment de renouveau et de grandeur, dans une forme de « désenchantement du monde » Weber, 1917, où les régimes autoritaires revendiquaient être des paradis terrestres. D’autant plus qu’en évoquant « le printemps de beauté », le compositeur symbolique une période de transformation, de renouveau, d’époque florissante et bénéfique pour la population. 


Ainsi, les fonctions symboliques des paroles arrivaient à mobiliser une admiration totale auprès du Duce (chef) et de son régime. Qui plus est, des célèbres Festa della Repubblica (fêtes de la République), avec des groupements considérables, étaient entourées de musique triomphante afin d’immerger les foules dans des émotions de dévouement patriotique.


La musique, comme instrumentalisation politisée, devenait une manière innovante de justifier le nationalisme extrême et le culte du chef. Cet outil a été notamment véhiculé chez les enfants pour construire de « bons » citoyens. 


Censure et épuration musicale 


Les régimes totalitaires ne se contentèrent pas d’imposer leur propre musique, ils firent également taire les mélodies dissidentes. La musique devait servir l’idéologie ou être vouée à disparaître. 


Par exemple, en Allemagne, Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, a mis en place un contrôle strict sur la production musicale à travers la Reichsmusikkammer (Chambre de musique du Reich).


Des styles de musique comme le jazz ont été interdits, étant perçus comme des musiques « dégénérées » -Friedrich, 2002, c’est-à-dire non-conformes aux attentes et principes du régime en question. Le jazz, étant associé aux minorités africaines, était considéré comme source d’infériorité tentant de perturber voire menacer l’ordre social établi et la pureté de la race aryenne (image 1).  


Image 1 : affiche d’une exposition nazie consacrée à la musique dégénérée (Entartete Musik) · ©  BPK, Berlin, Dist. GrandPalaisRmn / image BPK
Image 1 : affiche d’une exposition nazie consacrée à la musique dégénérée (Entartete Musik) · © BPK, Berlin, Dist. GrandPalaisRmn / image BPK

Pour résumer…


Même si le rôle de la musique lors de la Seconde Guerre mondiale ne peut être simplement cantonné à la fonction utilitariste des régimes, elle a représenté malgré tout un enjeu, voire un outil instrumentalisé spécifique afin de véhiculer les idéaux du régime dictatorial. Les dirigeants politiques visaient principalement à faire intérioriser les normes sociétales et les devoirs des citoyens, particulièrement chez les plus jeunes.







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