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Unité 731 : l’horreur scientifique au service du Japon impérial


 Le musée des preuves de crimes de guerre par l’unité 731 de l’armée japonaise ·  © EditQ /  Travail personnel
 Le musée des preuves de crimes de guerre par l’unité 731 de l’armée japonaise ·  © EditQ /  Travail personnel

Des années 1930 jusqu’à la capitulation du Japon en 1945, une unité de l’armée impériale japonaise, connue sous le nom d’Unité 731, a mené dans l’État fantoche du Mandchoukouo, au nord de la Chine, des expériences médicales cruelles et des tests d’armes bactériologiques sur des prisonniers civils et militaires. 

Aucun n’est ressorti vivant de cet enfer « expérimental ».  Aucune condamnation des responsables n’a été prononcée. Une chape de plomb s’est abattue sur ces expériences barbares pendant plusieurs décennies, laissant ces crimes impunis. 



Une unité secrète au service du Japon impérial 


Officiellement désignée comme le Département de prévention épidémique et de purification de l’eau de l’armée du Kwantung, renommée Unité 731 en 1941, elle a été l’un des secrets les mieux gardés de cette période. 


L’homme derrière ce projet, Ishii Shirō, biologiste militaire formé à l’université impériale de Kyoto, brillant, nationaliste et ambitieux, il convainc l’état-major japonais de financer un vaste programme d’armement biologique.


Dès la fin 1932, il établit un laboratoire d’expérimentation bactériologique, en menant principalement des expériences d’inoculation du choléra et de la peste dans un village près de Harbin. Devant faire face à une révolte locale, il déplaça son camp à quelques kilomètres à Pingfang, et reprit ses expérimentations en 1938 avec le renfort de mille employés, médecins et techniciens militaires : 3 km² de bâtiments, une prison, des laboratoires et un crématorium. 


Ishii, nommé colonel, recrute les meilleurs jeunes médecins, vétérinaires, biologistes et chimistes du pays. Son autorité est totale. Il impose le secret militaire, la discipline et une vision dévoyée de la médecine : soigner l’armée, en sacrifiant des milliers de vies humaines.


Shiro Ishii en 1932 ·  ©  Masao Takezawa / Bulletin of Unit 731
Shiro Ishii en 1932 ·  ©  Masao Takezawa / Bulletin of Unit 731

De la recherche d’une arme bactériologique au sadisme scientifique


L’intensification de la guerre avec le Japon amplifia l’horreur des expériences menées. Tout d’abord, en multipliant les unités « scientifiques » de recherche. Cette unité s’inscrivait dans un réseau plus vaste d’unités où partout les expérimentations sur des prisonniers vivants étaient pratiquées. Trois autres unités, une au sud de la Mandchourie (unité 100) et à Nankin (Unité 1644) et une à Singapour poursuivaient les mêmes objectifs : fournir des armes bactériologiques à l’armée japonaise. 

 

Le site de l'Unité 731 à Harbin  ·  ©  Auteur inconnu / Bulletin of Unit 731
Le site de l'Unité 731 à Harbin  ·  ©  Auteur inconnu / Bulletin of Unit 731

À l’instar des expériences médicales nazies du Docteur Joseph Mengele, le médecin nazi du camps d’dxtermination d’Auschwitz, celles de ces unités et en particulier celles menées sous la direction de Shiro Ishii, ont nié l’essence même de l’humanité. Hommes, femmes et enfants furent réduits à des « objets » utiles à l’impérialisme militaire nippon. Cette déshumanisation s’est incarnée dans l’appellation de ces prisonniers transformés en cobayes : surnommés « Maruta », « bûches » en japonais (des « bûches qu’ils taillaient, brûlaient et congelaient à plaisir »). 


Il a été estimé pendant plus de 10 ans, environ 3.000 à 12.000 personnes victimes de ces expériences. En parallèle, d’autres expériences barbares furent menées. Vivisections pratiquées à vif, expositions des membres à des températures glaciales, déshydrations forcées et manque de nourriture pour tester, à chaque fois, les limites humaines.  Les témoignages des employés de cette unité sont effrayants de cruauté.


L’objectif était à la fois de fournir des armes bactériologiques d’attaque puissantes au Japon et, de manière défensive, de préparer les troupes militaires japonaises à des conditions extrêmes de guerre.



Des recherches cruelles sans impact sur le cours de la guerre


Cependant, malgré leur ampleur, ces expériences n’ont pas été décisives pour le Japon dans le cours de la guerre.  Offensivement et défensivement. 


« Seuls l’anthrax, le tétanos, et surtout la peste furent retenus pour des bombes très spéciales. Celles-ci furent enfin mises au point en 1943-1944 soit un peu tard dans la guerre pour atteindre une fabrication artisanale » -  Extrait de l’article Guerre bactériologique et cobayes humains : l’unité japonaise 731, Jean Louis Margollin 

À part pour les villageois chinois et les prisonniers de guerre victimes de ces armes, ces expériences n’ont pas permis au Japon de mener d’opérations bactériologiques d’envergure comme celle envisagée contre les Américains baptisée Opération PX, également connue sous le nom d'opération Cherry Blossoms at Night (Cerisiers en fleurs dans la nuit en français) ; opération devant touchée la côte ouest américaine et particulièrement la ville de San Diego. Aucun avantage stratégique et militaire n’a été permis par ces actes de barbarie. 


En 1944, ne pouvant utiliser d’armes secrètes destructrices, la solution militaire japonaise fut des attaques suicides de masse. 


Expérience d'hypothermie sur des prisonniers chinois surveillés par des soldats japonais en  1941  ·  ©   Japanese military reporter / Domaine public
Expérience d'hypothermie sur des prisonniers chinois surveillés par des soldats japonais en  1941  ·  ©   Japanese military reporter / Domaine public

Une chape de silence sur ces expérimentations inhumaines


Pourquoi ces crimes de masse sont-ils restés si longtemps méconnus ? 


À la reddition du Japon en 1945, Ishii Shito ordonne la destruction du camp de Pingfang et de ses archives. Mais l’Union soviétique, en occupant la région, captura en 1945 580.000 hommes de l’armée du Kwantung dont quelques responsables de cette unité 731 . Fin 1949, un procès eut lieu à Khabarovsk à la frontière sibérienne. Cependant, ce procès très stalinien dans sa forme ne permit aucun observateur étranger et ne fit condamner que des responsables de second rang.


Dans ce contexte de début de guerre froide, une course aux renseignements commença. Les soviétiques comme les américains s’intéressèrent aux données scientifiques de l’Unité 731. Shiro Ishii n’a pas réussi à inverser le cours des événements mais a sauvé sa vie et celle des principaux responsables. 

L’absence de survivants, l’ampleur de « l’océan de souffrance » du lendemain de la guerre, les 26 millions de morts en Asie pacifique ont sûrement contribué à accentuer cette chape de silence. 


De plus, dans la mémoire occidentale, les bombardements des alliés américains de Hiroshima et de Nagasaki ont parfois occulté celles des crimes japonais. 



Vers une mémoire partielle retrouvée, un chemin encore à accomplir pour les Japonais

 

Ce n’est que depuis la fin des années 1960, que le voile sur ces atrocités commence à se lever : des archives ou des témoignages de participants à cette unité refont surface. 


En 1976, une première documentation sur cette unité est publiée. En 1985, un musée-mémorial avec de nombreux documents et témoignages ouvre sur le site de ses décombres. En 2002, le tribunal de Kyoto reconnaît pour la 1ère fois qu’une guerre bactériologique a bien été menée mais rejette toute demande d’indemnisation. 


L’histoire de l’Unité 731 est celle d’un crime scientifique contre l’humanité, un crime de masse, mais également aussi celle d’un silence complice des grandes puissances.

  

Cette mémoire reste douloureuse au Japon. Elle reste pour ce pays, un Kizu, une plaie, une cicatrice à soigner. Elle dit le rapport encore complexe que le Japon continue d’entretenir avec son passé impérial et les horreurs commises en son nom. 

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